Littérature française

Vincent Borel

Richard W.

illustration

Chronique de Aurélie Janssens

Librairie Page et Plume (Limoges)

Alors que l’on célèbre cette année le bicentenaire de la naissance de Richard Wagner, que le faste de ses célèbres opéras émerveillera les spectateurs des plus belles salles d’Europe, Vincent Borel décide de passer outre cette image figée de l’artiste pour nous faire partager, avec ce « roman- portrait », l’intimité de l’homme, ses humeurs, la genèse de ses créations.

Richard Wagner a 52 ans lorsque retentissent au Hoftheater de Munich les premiers accords de Tristan, son dernier opéra. L’émotion est palpable, aussi bien dans la salle que chez Wagner. Car lorsque commence le roman de Vincent Borel, ce n’est pas un compositeur accompli et reconnu qui se présente à nous. Hué à Paris, ne trouvant ni salle pour jouer ses opéras ni mécène pour les financer, Wagner se demande ce qu’il va faire de sa vie et songe même à se donner la mort, à l’image de certains philosophes grecs, l’une de ses sources d’inspiration, au même titre que les légendes nordiques et germaniques, mais aussi les gestes médiévales. C’est la rencontre avec le très jeune roi Louis II de Bavière, ému quelques années auparavant par la représentation de Lohengrin, qui change considérablement le destin de cet homme. Wagner profite alors pleinement de la manne financière qui lui est offerte pour organiser des fêtes splendides où le champagne coule à flots. Il laisse libre cours à sa mégalomanie, aussi bien dans les projets ambitieux de ses opéras que dans sa sphère privée, délaissant sa femme Minna pour Cosima, sa secrétaire, issue d’une union adultérine de Frantz Liszt, et qui est aussi l’épouse de son chef d’orchestre, Hans Von Bulöw. De cette liaison naissent Isolde, Eva et Siegfried, dont les prénoms montrent à quel point la vie et l’œuvre de Wagner sont liées, l’une se nourrissant de l’autre et inversement. Au-delà du faste de ses œuvres et du génie tant loué par la critique, on découvre combien Wagner est un homme habité, presque torturé par ses œuvres. Lors de promenades, l’admiration d’un lac ou d’une montagne peut provoquer chez lui des humeurs tellement vives qu’elles le possèdent jusqu’à ce qu’il puisse leur donner vie. S’il fréquente les plus grands esprits de son temps, Villiers de l’Isle Adam, Camille Saint-Saëns, Judith Gautier ou Friedrich Nietzsche, c’est surtout la solitude et ses flâneries au sein de la nature qui l’inspirent. Vincent Borel réussit avec poésie et talent à nous faire pénétrer l’âme de son personnage, nous permettant de vivre ses émotions les plus vives et de ressentir ses blessures les plus profondes. Ce roman n’est pas une simple biographie d’un compositeur dont on pensait qu’il restait peu à découvrir : il nous fait voyager à travers les paysages romantiques qui ont tant nourri L’Anneau du Nibelung ou Les Maîtres chanteurs de Nuremberg, nous fait toucher l’étincelle de génie qui illumine une œuvre, nous berce de mythes wagnériens et nous offre une magnifique réflexion sur la musique, celle qui est « l’unité du vivant dans sa complexité et son incessante transformation. Elle contient la danse du monde et le souffle de l’esprit ». Un des plus beaux hommages qu’on puisse rendre à un homme exceptionnel.

Les autres chroniques du libraire