Littérature étrangère

Valeria Luiselli

Des êtres sans gravité

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Chronique de Aurélie Janssens

Librairie Page et Plume (Limoges)

Un immeuble délabré de Mexico, un voisin qui élève des blattes de Madagascar, des murs qui s’effritent. C’est le lieu où réside la narratrice, son mari architecte et ses deux enfants, le lieu où elle écrit ce roman. Un roman « silencieux pour ne pas réveiller les enfants ». Quelques bouffées d’air frais dans un quotidien saturé de questions, de tétées, de pleurs de « la bébé », de l’infidélité du mari… Elle se replonge dans ses souvenirs où, jeune traductrice pour une maison d’édition à New York, elle arpentait les bibliothèques vêtue d’une mini-jupe et d’un manteau rouge, tentant de dénicher le futur Bolaño parmi les auteurs d’Amérique du Sud qu’elle était amenée à côtoyer ou à lire. Elle vivait dans un appartement minuscule où venaient dormir amants et amis de passage. C’était la liberté, les soirées dans les bars enfumés avec des amies excentriques. Aujourd’hui son bureau est encombré de couches et de jouets, elle manque d’air dans cet appartement où elle cohabite avec ses fantômes. Il y a « Avecousanstête », un esprit qui se balade impunément dans l’appartement, le fantôme d’elle-même couché sur le papier, celui de son passé à moitié fantasmé, ou encore le fantôme de Gilberto Owen, ce poète qu’elle a découvert lorsqu’elle était traductrice et qu’elle a voulu éditer à tout prix. Des éléments de sa vie rédigés sur des post-it au fur et à mesure de ses prises de notes forment une biographie où l’on découvre un poète original ayant habité Harlem en 1920, fréquenté Garcia Lorca et applaudi Duke Ellington, qui vivait avec trois chatons. Les récits s’entremêlent, la frontière entre le réel et l’imaginaire se brouille, les paragraphes légers dissimulent une gravité profonde où l’on s’enfonce malgré soi grâce au talent et au style de cette jeune et brillante auteure mexicaine.

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