Littérature étrangère

Juan Jacinto Munoz Rengel

Le Tueur hypocondriaque

✒ Aurélie Janssens

(Librairie Page et Plume, Limoges)

Un petit rhume ? Le dos qui coince ? Un orteil qui enfle ? Et vous voilà atteints d’un syndrome rare, d’une maladie inexpliquée. Cela vous gêne au quotidien, vous ne pensez plus qu’à ça. Hypocondriaques, vous n’êtes plus seuls ! Vous croyez être rassurés par la lecture de ce roman ? Pas sûr !

Mr Y. est l’un des vôtres. Dès le réveil, il est persuadé que cette nouvelle aube sera pour lui la dernière. Son minuscule appartement est envahi de tensiomètres, thermomètres, hydromètres prêts à mesurer à tout instant la moindre défaillance de cet organisme obsédé par les microbes et autres maux incurables. Il se sait lui-même atteint des maladies les plus rares, tel le syndrome d’Ondine qui l’empêche de dormir profondément sous peine de ne jamais se réveiller et l’oblige à se reposer lors de micro-sommeils intempestifs survenant à tout moment de la journée. Ou encore le syndrome de Proteus déformant son pied droit, syndrome ne touchant que 200 personnes dans le monde et dont la manifestation la plus connue est celle de John Merrick, l’Éléphant Man. Et ce ne sont que deux exemples parmi tous les syndromes aussi rares que variés qui accablent notre protagoniste. Si cela est déjà fort contraignant au quotidien pour n’importe quel quidam, pour Mr. Y ça l’est encore plus lorsqu’on connaît sa profession. En effet, celui-ci n’est ni plus ni moins qu’un tueur à gages, un tueur hypocondriaque. Depuis plus d’un an, il poursuit Eduardo Blaisten, sa cible. Un homme bien mis : chemise claire, costume sur mesure, pardessus, ponctuel en toute circonstance… Il boit son café tous les mardis au Starbucks du coin à 10h23 précises, achète tous les jours les mêmes journaux et apparaît tous les mercredis matins rue d’Alcalà à 9h23. Une ponctualité kantienne qui faciliterait le travail de n’importe quel tueur à gages. Néanmoins, malgré de nombreuses tentatives, Mr Y n’a toujours pas réussi à tuer Eduardo Blaisten. Ce n’est pourtant pas faute d’imagination et d’essais. Le pousser sous les rames du métro ? À deux doigts d’y parvenir, Mr Y est saisi de vertiges à cause de son syndrome de Menière. En empoisonnant son verre dans un bar ? Son syndrome d’Ondine le rattrape et il s’endort au moment de verser le poison dans le verre. En se jetant sur lui comme un fou en manque ? Le voilà pris au sérieux par Blaisten et son épouse qui le chargent dans la voiture et l’emmène au poste de secourisme. Cet antihéros, sorte de Pierre Richard des meurtriers, se console comme il peut en évoquant d’illustres hommes que la vie et la maladie n’ont pas épargnés non plus. On apprend que les Frères Goncourt souffraient tous deux du ventre, Jonathan Swift d’hyperacousie (acouphènes, vertiges, nausées), Descartes de refroidissements, Byron d’un pied difforme, Tolstoï de troubles neurologiques, d’ulcère, de rhumatismes, Proust d’asthme et de dépression… et ne parlons pas des diverses maladies qui accablèrent tout au long de leur vie Voltaire, Coleridge ou encore Poe. À cela s’ajoute pour la plupart le fait de s’être retrouvés orphelins très tôt et, pour certains, d’être poursuivis par une malchance sans fin. Alors rassurés ? En plus d’être farfelu, noir et drôle, ce premier roman prometteur est aussi très instructif. Un croisement original entre le polar et le burlesque où l’on réviserait son catalogue des maladies réelles (ou imaginaires) grâce à ces grands hypocondriaques. Juan Jacinto Muñoz Rengel nous régale autant qu’il nous inquiète, un mélange détonnant !

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