Littérature étrangère

Magda Szabo

La Porte

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Chronique de Aurélie Janssens

Librairie Page et Plume (Limoges)

Publié en 1987, La Porte de Magda Szabó, traduit en français par Chantal Philippe et édité chez Viviane Hamy, reçut en 2003 le prix Femina étranger et fut élu en 2015 « meilleur livre de l’année » par le New York Times. Le roman paraît au Livre de Poche, une façon de (re)-découvrir cet ouvrage exceptionnel et ce que cache cette fameuse « porte ».

La narratrice du roman, Magda, est une auteure hongroise. Elle vit aisément avec son mari dans un bel appartement bourgeois d’un quartier vivant et calme. Néanmoins, le temps qu’elle passe à l’entretien de cette vaste demeure est un temps perdu pour l’écriture de ses romans et articles. Elle décide donc d’engager une domestique et, sur les conseils d’amis, se tourne vers Emerence, la concierge de l’immeuble voisin qui fait aussi le ménage chez plusieurs habitants du quartier où elle fait un peu figure de sainte. Mais cette dernière renverse l’entretien d’embauche. Elle soumet à ses futurs employeurs des exigences (« Je ne lave pas le linge sale de n’importe qui »), décide de ses horaires de travail et du salaire qui lui sera attribué. Malgré cette audace, Magda l’embauche, fascinée, intriguée par cette bonne femme au caractère bien trempé. Dès lors se nouent des rapports complexes entre Magda et Emerence. Magda aimerait en savoir plus sur la vie de cette femme mystérieuse. Elle sent que si la femme de ménage est entièrement vouée au service des autres, qu’elle passe ses journées à s’occuper d’eux, à recueillir leurs états d’âme, leurs confessions, leurs secrets, c’est pour mieux dissimuler les siens. Car si Emerence possède les clefs de la plupart des maisons du quartier, dont elle pousse régulièrement les portes, il en est une qui reste définitivement fermée à tous, la sienne. Elle reçoit les gens dans une petite pièce attenante à son logement, leur offre volontiers à manger et à boire. Elle montre une capacité d’écoute pleine de douceur et d’attention, mais refuse à quiconque l’accès à son domicile. Cette étrange manie suscite d’ailleurs les commérages du quartier. Emerence a cependant sa fierté et prête peu attention aux ragots. La relation des deux femmes évolue lorsque le mari de Magda tombe malade et doit être hospitalisé. Emerence recueille alors les craintes, les doutes et confessions de sa patronne, se laissant même aller, à son tour, à lui livrer quelques moments de son passé, quelques secrets. Une forme de confiance s’établit, qui va au-delà de la relation entre employeur et employé. Et la confiance n’est pas un vain mot dans la bouche de la sainte femme. Magda en paiera le prix fort. Bien plus qu’un roman, c’est une longue confession que nous livre Magda Szabó. Si les similitudes sont grandes entre l’auteure et la narratrice, alors la fin du roman permet de comprendre à quel point Magda avait besoin de soulager sa conscience, son âme. Cette relation entre la maîtresse de maison et sa domestique dépasse le simple cadre de la chronique sociale. La psychologie des personnages et de leurs rapports est extrêmement fouillée et l’Histoire de la Hongrie est ici bien davantage qu’une toile de fond. En outre, le ton du roman, qui oscille entre humour et gravité, rend le livre inclassable. Poussez la porte, vous ne le regretterez pas !

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