Littérature française

Marie Charrel

Je suis ici pour vaincre la nuit

illustration

Chronique de Aurélie Janssens

Librairie Page et Plume (Limoges)

L’histoire des arts regorge de femmes ayant vécu « dans l’ombre de », bien que souvent artistes elles-mêmes. Marie Charrel convoque l’une d’elle, son aïeule, Yo Laur, et lui donne voix pour la sortir du silence, du néant.

La narratrice et auteure de ce roman est intriguée par des tableaux présents chez plusieurs membres de sa famille, signés Yo Laur. Lorsqu’elle cherche à en savoir un peu plus sur cette aïeule, les langues ont du mal à se délier. Le roman de Marie Charrel est construit comme une enquête littéraire alternant passages de recherches, d’entretiens avec des personnes ayant pu connaître Yo Laur, et une sorte de journal intime où la narratrice se glisse dans la peau de cette femme exceptionnelle et raconte sa vie. Elle, qui fut la première femme peintre d’une famille d’artistes masculins, ne veut pas passer sa vie dans l’ombre de ces hommes et décide de se détacher d’eux en se trouvant un nom et surtout un style qui lui serait propre. Et il lui faut un sacré courage pour s’imposer au début du XXe siècle dans une société fortement patriarcale ! Elle se marie à l’aviateur André Bellot, avec qui elle vit une belle histoire d’amour et de grande liberté, et va, un temps, vivre en Algérie. Une expérience qui va profondément révolutionner sa façon de peindre. Revenue à Paris avant la guerre, elle finira déportée à Ravensbrück à plus de 60 ans où elle ne restera que quelques mois avant de mourir. Ce roman, d’une grande fluidité, permet de découvrir complètement, de sortir de l’oubli, la vie de cette femme au destin exceptionnel. Il permet aussi de revenir sur des épisodes moins connus de l’Histoire, comme les relations entre Français et Algériens bien avant la guerre d’Algérie, ou encore la condition des femmes âgées et des artistes en camp de concentration. Gageons que ce très beau portrait de femme serve d’exemple pour donner voix à toutes celles, injustement oubliées de l’histoire des arts, qui ne seront plus que des « femmes, maîtresses, muses de… », mais existeront bel et bien pour ce qu’elles ont vécu et produit.

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