Littérature étrangère

Irmgard Keun

Après minuit

illustration

Chronique de Aurélie Janssens

Librairie Page et Plume (Limoges)

Si le sujet de la Seconde Guerre mondiale a donné à lire des centaines de romans, ceux qui concernaient les années précédant le déclenchement de la guerre en Allemagne et la montée du nazisme ont été d’autant plus rares qu’ils étaient très vite mis à l’index.

Cependant, certains romans ont, à l’image de leur auteur, un destin hors du commun. Après minuit a été écrit en 1937 par une jeune Allemande, Irmgard Keun. Le ton et le sujet du livre lui ont valu de figurer sur la liste noire des nazis. L’auteure, amie de Zweig, Heinrich Mann et Joseph Roth est contrainte de fuir l’Allemagne. Son roman, injustement oublié, vient de reparaître dans la collection « Vintage » chez Belfond. Suzon, l’héroïne, perd sa mère à 16 ans, ce qui la contraint à aller vivre chez une tante acariâtre papetière à Cologne. Elle y fait la connaissance de son cousin Franz pour qui elle éprouve des sentiments allant très au-delà des liens familiaux. Néanmoins, dès que l’opportunité se présente, elle part à Cologne rejoindre Algin, son frère aîné. Poète, il vit avec Liska, une femme haute en couleur, aux mœurs et à l’esprit particulièrement débridés. Suzon découvre alors la vie d’une jeunesse privilégiée d’artistes et de nantis. Les Années folles font parties d’un passé récent, des questions artistiques et littéraires inédites émergent, mais aussi un nouveau mode de gouvernement, le national-socialisme, avec à sa tête Hitler. Les militaires et les gradés fréquentent les cafés et les jeunes femmes de Cologne. Bientôt, Suzon comprend que des propos trop critiques tenus devant les soldats risquent de lui attirer des ennuis. Le roman raconte ce mélange étrange de fêtes, de soirées dans les bars jusqu’à l’aube, et les premières dénonciations, la montée fulgurante de l’antisémitisme, l’importance de la parole et des mots employés face aux autres. Oscillant entre allégresse et noirceur, Après minuit est un chef-d’œuvre d’une importance capitale pour mieux saisir ce point de basculement qui précéda la chute.

Les autres chroniques du libraire