Polar

Marion Brunet

L’Été circulaire

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Chronique de Aurélie Janssens

Librairie Page et Plume (Limoges)

Plutôt reconnue du côté de la littérature jeunesse et jeunes adultes, Marion Brunet s’attaque désormais à la littérature adulte. Un cap qu’elle franchit avec d’autant plus de facilité qu’elle poursuit, sur le chemin du roman noir, ce qu’elle avait déjà amorcé dans ses précédents romans, une exploration de l’âme humaine dans ce qu’elle peut avoir de plus sombre.

C’est l’été, non loin d’Avignon. Jo, 15 ans, et sa sœur Céline, 16 ans, comme toutes les ados de leur âge se préparent pour aller à la fête foraine qui s’est installée dans leur petite ville. C’est l’événement. Les parents, légèrement endimanchés eux aussi, suivent leur progéniture du regard, puis les laissent entre jeunes avant de rejoindre leurs amis à la buvette. Les jeunes, entre deux tours de Tarentule, fument quelques cigarettes à peine cachées, flirtent, s’embrassent, parfois pour la première fois. Un sentiment de liberté, le début de l’été avec, en fond sonore, la même chanson depuis vingt ans, celle qui a déjà bercé les premières fois de leurs parents, « Freed from desire » de Gala. Mais le vertige enivrant de cette liberté soudaine laisse place à un nouveau vertige bien réel pour Céline qui s’évanouit lors d’un tour de manège. Les parents accourent, les amis s’interrogent et pour Céline tout s’éclaire. Depuis quelques semaines, les seins tendus, les nausées et ce malaise. Assez vite, elle n’est plus la seule à saisir ce qui lui arrive et son père, entre deux bières, furieux de comprendre que sa fille n’est plus vierge et qu’elle se trouve dans une situation bien embarrassante, lui demande des explications à coups de menaces prêtes à se transformer en torgnoles. Et Céline a raison de craindre les mains d’ouvriers de Manuel, larges, violentes, sanguines, qui savent mieux soulever des canettes de bière ou des sacs de sable que caresser, aimer. Elle ne peut trouver le réconfort dans les bras de sa mère Séverine qui se trouve dans une position inconfortable, ayant elle-même eu Céline jeune, abandonnant, avec cette vie de famille précoce, ses rêves de réussite, se retrouvant coincée dans sa petite vie avec ce mari rustre. Elle confie alors ses états d’âme à Kadija, une voisine qui travaille depuis des années sur l’exploitation agricole de ses grands-parents. Kadija a un fils, Saïd, qui connaît les deux sœurs depuis qu’elle sont toutes petites et qui vivote de petits trafics. Et si c’était lui le père de l’enfant que porte Céline ? Ce soupçon dévore Manuel au point de devenir une féroce conviction. La seule qui ne juge pas sa sœur, c’est Jo. Cette gamine au regard étrange a vite compris tout ce qui se jouait cet été-là. Elle tente de trouver quelques bouffées d’air frais loin de toute cette tension au festival d’Avignon où elle se prend de passion pour le théâtre et fréquente une bande de jeunes plus citadins, plus aisés, plus cultivés. On retrouve dans le roman de Marion Brunet une grande justesse pour saisir ce qui se joue à l’adolescence, cette période trouble qui mêle les restes d’enfance et ces rêves, ces espoirs, ces ébauches de vie d’adulte. Elle ne porte aucun jugement sur ses personnages, quelle que soit la faute qu’ils aient à supporter. Sans misérabilisme, elle dépeint leur milieu avec une lucidité impressionnante. Un été tout en tension, en moiteur, un Été circulaire explosif.

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