Littérature française

Céline Lapertot

Ce qui est monstrueux est normal

✒ Aurélie Janssens

(Librairie Page et Plume, Limoges)

Certains sujets douloureux nécessitent du temps, le temps de la reconstruction, le temps de l’ordre dans le chaos, et le temps pour choisir les mots, précis, justes pour décrire chaque émotion.

Et parce qu’elle sait, en esthète des mots, qu’il ne faut pas confondre rage et précipitation, Céline Lapertot les a choisis avec soin ces mots, ces phrases qui dessinent les contours d’un souvenir que d’autres auraient tout fait pour taire. Elle décrit le champ de ruine de cette enfance balayée d’un doigt, celui de son beau-père, glissé sous les vêtements, cette enfance où les cris qui hurlent dans sa tête se heurtent au silence de sa mère qui ne veut pas voir, cette enfance sacrifiée au nom de quoi, de la misère, du sordide, de ce qu’on espère anecdotique, singulier, anormal, et se terre pourtant derrière bien plus de façades qu’il n’y paraît. Parce qu’il n’y a pas de pancarte devant les murs pour dire « ici, une enfant a été violée, maltraitée », parce qu’il n’y a pas de fissure dans les murs pour symboliser ce qui se détruit dans l’âme d’un être dont les repères s’effondrent. Pour tout ça, pour témoigner, pour faire entendre les cris longtemps retenus, Céline Lapertot nous offre ce texte qui saisit par la beauté des mots et l’effroi que suscite son sujet. Parce ce que c’est aussi un formidable appel à espérer, néanmoins, qu’une main se tende et hisse l’enfant hors des ténèbres. Parce qu’il y a des gens qui acceptent, sans jugement, qui aident, sans contrepartie, qui donnent les outils pour se reconstruire, et des livres pour trouver les mots, ceux qui apaisent, ceux qui nourrissent, ceux qui portent en eux ces cris qu’on a longtemps contenus en soi, ceux qu’elle peut désormais utiliser, enseigner, transmettre à son tour. Jamais il ne sera question de pathos dans ces lignes, ni voyeurisme, ni fausse pudeur. Et si certaines phrases dérangent, c’est pour faire bouger les lignes, les repousser, permettre un questionnement, sortir du conformisme, des préjugés. Ce livre est tout sauf anodin, ni pour son auteure, ni pour le lecteur, c’est aussi ça la force de la littérature.

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