Essais

I am Happy

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✒ Aurélie Janssens

(Librairie Page et Plume Limoges)

« Il en faut peu pour être heureux », « C’est quand le bonheur ? », « Because I’m happy ». Le bonheur, on le chante à tue-tête, on le cherche longtemps, partout, on croit s’en approcher, il nous échappe, s’éloigne, la guigne, puis il repointe le bout de son nez quand on ne l’attendait plus.

On peut l’envisager de manière mythologique, antique, religieuse, comme quelque chose de déterminé avant notre existence : le destin. Mais ces dernières années, la tendance se tourne plutôt vers l’intérieur de Soi. On voit fleurir des livres, des cours, des vidéos pour nous encourager à créer, à trouver le bonheur en nous. Faisons fi des éléments extérieurs, le bonheur serait lié au regard que l’on porte sur notre vie, ses vicissitudes, il ne tient qu’à nous d’y accéder. Deux ouvrages paraissent pour nous aider à comprendre ces quêtes et leurs dérives. Gaël Brulé est sociologue, ingénieur de formation, il s’est nourri de son expérience dans l’urbanisme pour écrire Le bonheur n’est pas là où vous le pensez. Il fonde son ouvrage sur des textes critiques (sociologues, philosophes, psychologues) et des études concernant la perception que l’on a du bonheur. Érigé en nouvel eldorado, il a perdu sa valeur collective pour devenir une quête individuelle. Gaël Brulé montre que cette individualisation, propre à notre société contemporaine, ne sert pas que nos intérêts, mais surtout ceux du marketing et de la politique. Aujourd’hui, l’indice de santé d’un pays est mesuré avec le PIB mais plusieurs pays se tournent vers d’autres critères comme le « Bonheur national Brut ». En sociologue, il commence par définir son sujet d’étude avant de déterminer une méthode pour le mesurer et, à terme, avoir des outils sérieux pour l’appréhender. Il clôt son ouvrage par « Dix idées reçues sur le bonheur » et « Dix tremplins vers le bonheur ». Si Gaël Brulé met à profit la méthode empirique pour nous aider dans cette quête du bonheur, Edgar Cabanas, psychologue, et Eva Illouz, sociologue, nous mettent en garde contre les dérives de cette nouvelle science, la « psychologie positive » qui tend vers une dictature qui aurait pris le contrôle de nos vies. Car si l’on part du principe que nous seuls sommes responsables de notre bonheur, nous sommes aussi les seuls à blâmer si nous ne l’atteignons pas. Quel poids sur nos épaules ! Serions-nous devenus des « happycondriaques », des obsédés égocentriques ? À qui profite ce marché juteux loin d’être purement altruiste ? De quoi prendre un peu de recul, souffler, comprendre et assumer enfin le Droopy que l’on tente désespérément de faire taire en soi ! Et si le secret du bonheur était d’accepter son aspect chimérique et mercantile, d’arrêter de chercher à l’atteindre à tout prix ? Deux ouvrages, deux méthodes, deux propos : à vous de choisir !