Valérie Barbe
Librairie Au brouillon de culture, Caen
Comment et pourquoi êtes-vous devenue libraire ?
Valérie Barbe En fait, je suis devenue libraire par hasard (ou presque), puis très vite par passion. J’avais besoin de travailler pour terminer ma licence et le Brouillon de culture avait ouvert ses portes depuis un mois. Enfant, j’avais été une lectrice précoce comme on dit maintenant, alors c’est naturellement que j’ai poussé la porte, proposé mes services, et les patrons de l’époque m’ont donné ma chance, quelques heures par semaine, puis de plus en plus souvent. Une fois l’année universitaire terminée, je suis entrée définitivement « en librairie », n’envisageant plus de faire autre chose de ma vie.
Parlez-nous un peu de votre librairie et de son équipe.
V. B. Le Brouillon a vu le jour en 1986. C’était un risque et une aventure, puisque la FNAC avait annoncé l’ouverture l’année suivante à Caen. 60 m2 au début, 300 aujourd’hui dont une salle de rencontre, tout ça dans une configuration labyrinthique assez amusante pour les clients. Nous avons commencé à trois libraires, une poignée d’années après nous étions six, dont Laurent Layer, l’actuel gérant, qui comme moi s’est passionné et investi. Les jeunes que nous étions à l’époque transmettent maintenant leur savoir-faire à de jeunes collègues, le Brouillon est même devenu un vivier à libraires puisque plusieurs ont quitté la librairie pour voler de leurs propres ailes et créer leurs magasins. Nous somme aujourd’hui 18 libraires et apprentis. D’ailleurs, en plus d’être libraire, je suis formatrice dans un centre de formation au métier de libraire, c’est dire combien ça me tient à cœur.
Racontez une anecdote amusante avec un client.
V. B. Oh, chaque libraire en a des tas ! Je me souviens par exemple d’une vieille dame, très digne et élégante, affublée d’un nom de famille grossier et qui quand elle passait commande nous épelait son nom au lieu de nous le dire. L.a.b.i.t.e. C’étais gênant et charmant à la fois. Je pense aussi à ce jour, alors que nous avions agrandi le magasin en rachetant une ancienne épicerie, à ce monsieur bourru qui est entré et m’a demandé tout de go un pot de moutarde. Elle lui est montée au nez quand je lui ai dit que c’était maintenant une libraire : il est reparti furieux en disant que ça ne m’empêchait de vendre de la moutarde.
Quel est le premier livre que vous allez rouvrir ?
V. B. Sans hésiter, les Essais. Puis le Journal des Goncourt, et je rêve de relire tous les Rougon Macquart en Pléiade. Mais ça, ce sera à la retraite ! D’ici là, j’adore relire de la poésie, Jaccottet surtout.
Quel serait le conseil que vous aimeriez donner à nos lecteurs pendant ces périodes de confinement ?
V. B. De lire, bien sûr, de relire aussi. Mais aussi de fermer les livres, de regarder le monde et la vraie vie. Car les semaines qui suivront seront différentes et nous sommes tous acteurs de vies et de celles des autres. Se demander ce que l’on peut faire pour changer les choses, chacun à son niveau me semble essentiel et tellement agréable. Et surtout d’être curieux, de ne pas perdre un instant pour apprendre. C’est à ce prix là que nous progressons. Et bien entendu, de continuer à acheter dans les librairies indépendantes.
Une autre idée de question à laquelle vous aimeriez répondre ?
V. B. "Si vous deviez emporter 3 œuvres sur une île déserte, quelles seraient-elles ?"
En fait il me faudrait un gros sac : La Recherche du temps perdu, les Rougon Macquart et la trilogie de Jon Kalman Stefansson. Trois œuvres, mais tellement de volumes ! Et puis si j’ai de la place je glisserai Montaigne, pour moi, il est essentiel.