Littérature française

Guillaume Meurice

Le roi n'avait pas ri

illustration

Chronique de Aurélie Janssens

Librairie Page et Plume (Limoges)

« C'est bien la pire folie que de vouloir être sage dans un monde de fou. » C'est avec cette citation d'Éloge de la folie d'Érasme que s'ouvre le roman de l'humoriste et écrivain Guillaume Meurice. Une citation qui donne le ton de ce roman historique, drôle et passionnant qui nous raconte l'histoire de Triboulet.

Comment avez-vous rencontré Triboulet ? Comment avez-vous effectué vos recherches ?

Guillaume Meurice - Cela faisait un moment que je m’intéressais à la figure du bouffon du roi. Et Triboulet est un peu la star dans ce domaine. Nombre d’anecdotes lui sont attribuées, sans toutefois que l’on puisse connaître leur degré de véracité, très peu de sources relatant son existence. Aussi, lorsque je me suis lancé dans l’écriture, je me suis plutôt documenté sur l’époque et le contexte. J’ai lu des biographies de rois, des livres sur le Moyen Âge et la Renaissance. Je voulais savoir ce que l’on mangeait, comment on vivait et s’habillait à l’époque pour m’imprégner de l'atmosphère dans laquelle Triboulet vécut. J’ai donc pas mal travaillé en amont, sûrement motivé par le complexe d’avoir été nul en Histoire pendant toute ma scolarité !

 

Ce personnage a-t-il été le point de départ du roman ou a-t-il incarné le projet du livre ?

G. M. - Il était l’incarnation parfaite des domaines qui me passionnent et que je pratique. À savoir la satire, la caricature mais aussi la liberté de ton. En faisant mes recherches, je me suis rendu compte que la tradition des « fous de cour » à travers les siècles avait commencé par d’authentiques « handicapés mentaux » pour finir par des personnes qui jouaient davantage un rôle de conseiller. Il m’a semblé que Triboulet représentait un tournant dans cette évolution car lui s’amuse à jouer au fou. Ce qui fait de lui un être redoutablement intelligent.

 

Ce roman est-il une manière d'explorer les rapports entre les humoristes et le pouvoir ?

G. M. - C'est exactement ça. Je ne voulais en aucun cas produire une thèse ou un essai sur « le rire et le pouvoir ». Disserter sérieusement sur l’humour me fout le cafard. Je considère que c’est comme l’amour, il vaut mieux le faire que d’en parler. Mais la forme du roman permet d’aborder le thème de manière plus détournée, plus élégante et, j’espère, plus drôle. J’avais besoin et envie de m’amuser à raconter une histoire.

 

D'une manière générale, n'est-ce pas une réflexion sur le métier d'humoriste ? En effet, plusieurs fois Triboulet s'interroge sur l'utilité de sa profession et les limites de son art.

G. M. - Oui, je voulais aussi explorer les limites que comporte l’exercice de « faire rire », sans passer par la sempiternelle question « peut-on rire de tout ? ». Je voulais explorer cette zone que tous les satiristes connaissent. À quel moment cautionne-t-on la structure qu’on critique et qui souvent nous nourrit ? Ce paradoxe est très intéressant et riche en contradictions. Et donc propice aux questionnements de Triboulet, qui sont aussi les miens.

 

À de nombreuses reprises dans le roman, la folie – ou celui qui est désigné comme fou par les autres – est associée à la vérité. Pensez-vous que ce soit une folie de dire la vérité ?

G. M. - Cela fait partie de l’autre axe sur lequel j’ai voulu structurer le récit. Qu’est-ce que la folie ? Ou plus précisément, quelle est notre part de folie ? Où se situe-t-elle ? Comment se manifeste-t-elle ? Car nous en avons tous un grain. Elle peut se traduire par de l’inconscience, de l’obsession, voire de l’audace. En tout cas, elle permet le déséquilibre. Et comme tout déséquilibre, elle permet le mouvement. Donc c’est souvent grâce à elle qu’on avance. Et que, parfois, on trébuche.

 

On ne peut s'empêcher, à la lecture de ce roman historique, de trouver des échos avec notre monde actuel. Était-ce une volonté initiale ? Est-ce que finalement, rien n'aurait changé depuis tout ce temps ?

G. M. - Je ne dirais pas que rien n'a changé car, en tant qu’humoriste, le risque est moindre aujourd’hui en France d’être condamné à mort à cause d’une blague, bien que cela puisse toujours attirer de sérieux ennuis ! C’est évidemment loin d’être le cas dans tous les pays mais disons que je n’y ai jamais été confronté personnellement. Ce qui n’a pas évolué en revanche, c’est la structure du pouvoir qui est toujours la même. D'une écrasante verticalité ! J’ose espérer que les humoristes apportent un peu de baume au cœur de celles et ceux qui subissent, voire, pourquoi pas, de leur donnent la force d’inverser la tendance.

 

« Laidron », dernier-né difforme d'une famille de fermiers de Blois ne pouvant aider aux travaux de la ferme, est rejeté par sa famille. Il connaît l'errance, la mendicité, le vol, la prison. Victime de la cruauté des hommes, il tente de se défendre grâce à l'humour. C'est ce qui le mène jusqu'à la cour de Louis XII, puis de François Ier, dont il devient le « bouffon ». Sa fonction ? « Divertir sans glisser. Chercher la limite, le point d'équilibre entre le rire et l'offense. Entre la grâce et l’abîme. » Il excelle dans ses fonctions au point de devenir le confident du roi car il est finalement le seul à « parler vrai » dans cette cour où les conseillers et les nobles abusent de la langue de bois pour obtenir des faveurs. Jusqu'au jour où... Le roi n'avait pas ri est à l'image de son auteur : aussi drôle que pertinent !

 

 

Photo Guillaume Meurice © Olivier Roller

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