Littérature française

Monica Sabolo

Summer

illustration

Chronique de Aurélie Janssens

Librairie Page et Plume (Limoges)

Monica Sabolo tisse une toile, délicate et solide, aérienne et ancrée dans le sol ou dans les profondeurs aquatiques. Elle capture les secrets, les mystères, à la fois refuges et menaces. Une dualité que l’on retrouve dans son œuvre où derrière les paillettes, le vernis des apparences, les ombres du passé, les bleus de l’âme sont bien présents.

Deuxième sélection du Prix Goncourt 2017

Première sélection du Prix Interallié 2017

Deuxième sélection du Prix du Style 2017

 

Un été, au bord du lac Léman, Summer, une jeune fille belle et solaire de 19 ans, passe l’après-midi avec ses amies et son jeune frère Benjamin. Elles viennent de passer le bac, se racontent ce qu’elles feront à la rentrée. Lors d’une partie de cache-cache, Summer disparaît. On ne retrouve pas sa trace. Impossible alors pour la famille, et encore plus pour Benjamin, de faire son deuil. Vingt-cinq ans plus tard, un événement, en apparence anodin, fait resurgir les souvenirs de cette journée. Benjamin décide enfin d’affronter son passé, ses secrets, ce démon qui le hante, et faire enfin face à ce lac qui a englouti une partie de sa vie. Un roman troublant et fascinant, où le suspense se mêle au poétique, où la nature est extrêmement présente, où les secrets de famille figent, empêchent d’avancer. Monica Sabolo confirme ici son talent à nous emporter dans son univers accueillant et menaçant, son imaginaire organique, et réussit à nous surprendre !

 

PAGE — Un été, au bord d’un lac, Summer, une jeune fille, disparaît. Cette disparition affecte les amies qui étaient avec elle ce jour-là, mais aussi sa famille et surtout son frère, Benjamin, qui, vingt-cinq ans après, ne semble pas se remettre de ce drame.
Monica Sabolo — On le retrouve à 38 ans et il n’a jamais vraiment réussi à construire sa vie. Il a toujours eu la sensation qu’il était moins bien que sa famille. Il adorait ses parents, il adorait sa sœur, il les trouvait charismatiques. Ils lui donnaient l’impression de glisser sur la vie très facilement alors que lui devait se concentrer pour essayer d’avoir l’air normal. Depuis tout petit, il a cette sensation d’avoir été trouvé dans un marécage ou dans une forêt, de ne pas appartenir à cette famille. Un jour, parce qu’on a repeint son bureau, il y a une odeur de peinture qui va lui faire perdre connaissance et lui rappeler une odeur de peinture qui était dans la maison dans laquelle il vivait au bord du lac Léman, avec ses parents et sa sœur.

P. — C’est à ce moment que les souvenirs resurgissent. Et on se rend compte que même s’il avait essayé de les enfouir, ils étaient bien présents. Il a dû grandir, tenter d’avancer avec ce secret. Au fur et à mesure de vos romans, on se rend compte que quelque chose vous fascine : le secret de famille.
M. S. — Ça m’intéresse beaucoup, le silence dans les familles, les secrets qui se transmettent comme des passagers clandestins d’une génération à l’autre. Les conventions aussi, c’est pour cela que cette fois-ci le roman se situe à Genève, une ville très lisse et conventionnelle, avec un aspect « bien comme il faut ». Il y a ce lac, que les habitants ont tendance à oublier, comme un grand trou bleu au milieu de la ville. Il représente plutôt la matière, l’organique, l’inconscient, les secrets, tout ce qui est enfoui. Benjamin pense que ça va même grossir avec les années parce que les secrets enfouis vont se sédimenter. Le lac peut être vu comme quelque chose d’assez balnéaire, mais lui le voit plutôt comme un endroit très inquiétant, qui peut l’engloutir, avec des yeux qui le regardent dessous. Il est persuadé que la pelouse devant leur maison n’est qu’un tapis flottant qui pourrait s’effondrer et les entraîner tous dans les profondeurs. Le secret est pour moi matérialisé par le lac. Il rêve de sa sœur dans ce lac entourée de poissons, entourée de ses cheveux. Il a la sensation de revivre en boucle cet été, qui repasse à chaque changement de saisons. Vous avez beau enfouir des choses, les saisons se répètent, les lumières, les chaleurs, les parfums. Il a été absent à lui-même pendant toutes ces années. Et aussi glaçant que cela puisse paraître, il a réussi à vivre sans la personne qui comptait le plus pour lui. Il n’a jamais eu de réponses, suspendu au deuil impossible. On peut avoir l’impression de continuer mais il y a des choses qui sont là, plus fortes et plus puissantes que cette volonté. C’est aussi par le sauvage que les choses remontent. C’est ce que j’avais envie d’explorer.

P. — Vous parlez de « boucle » : il y a en effet le côté répétitif de cet instant que Benjamin revit sans cesse pour tenter de comprendre et, en même temps, cette disparition semble figée, prisonnière d’un temps mythique, un épisode d’une mythologie qu’on reproduit, vers lequel on revient souvent.
M. S. — La mythologie m’intéresse beaucoup car ce sont des choses qui empêchent de vivre. Ce sont des projections. J’aime beaucoup travailler sur l’adolescence, un moment où l’on est dans la cristallisation. Summer et ses amies sont comme des reines de lycée, de campus américain. Face à elles, il a la sensation d’être nul, bizarre, étrange, absent au monde. Imaginer que les autres sont plus beaux, fantastiques, inaccessibles, désincarne encore plus. Cette scène, cette disparition où, en plus, il n’était pas du tout attentif – il était parti fumer un joint dans les buissons – inscrit une culpabilité. Pendant les vingt-cinq ans où sa sœur n’était pas là, il se dit : « mais moi non plus je n’étais pas là ». C’est comme s’il était parti avec elle, qu’ils vivent tous les deux dans un ailleurs ou sous la surface d’une piscine.

P. — Vous évoquez l’adolescence comme un moment de cristallisation. C’est aussi ce temps dans la vie où les sensations sont exacerbées, le temps des premières fois, l’éveil à la sexualité. C’est une période qui est très présente dans la littérature anglo-saxonne.
M. S. — On pense notamment à Virgin Suicides de Jeffrey Eugénides, aux romans de Laura Kasischke et à cette littérature de campus, de teen movie, que j’aime mêler à quelque chose de plus poétique, plus sauvage. J’essaie d’écrire à partir de sensations et je pense que la sensation commence extrêmement tôt. Lorsque Benjamin raconte ses premiers émois – même si sa sexualité réelle ne commence que très tardivement – on est plus du côté de l’organique. À 38 ans, il vit comme un ado. Il dit d’ailleurs qu’il a « une chambre d’ado déstructuré, hospitalisé et psychotique ». Il fume des joints toute la journée, il n’a rien construit, il n’a pas grandi. Tous ces secrets le rendent incapable de grandir. Et pour moi, le roman, c’est le chemin d’un garçon qui grandit, qui devient un homme, aussi cabossé, anxieux et névrosé soit-il. À partir du moment où il le décide, où il se met en marche, il y va. Il a du courage, il affronte la réalité. Il va chercher les souvenirs qu’il pensait avoir oubliés mais qui sont pourtant là. C’est une façon d’oser aller vers la vérité pour pouvoir vivre à nouveau.

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