Bande dessinée

Didier Quella-Guyot , Sébastien Morice

L’Île aux remords

illustration
photo libraire

Chronique de

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Ce sera peut-être cette couverture sublime, avec ses teintes bleutées et ses touches de rouge, qui attirera votre regard et vous envoûtera quelques instants, vous laissant rêveur. Si vous y regardez de plus près, vous serez sans aucun doute séduit par cette superbe BD, sensible et passionnante !

L’orage est impressionnant en cette année 1958 dans les Cévennes : le Gardon, l’Ardèche, la Cèze… tous les cours d’eau sont en crue. De mémoire de vieux, on n’a jamais vu ça ! Se mettre à l’abri est primordial. Pourtant, Jean Poujol, le médecin du coin, décide de prendre sa voiture pour vérifier qu’un de ses patients est en sécurité. Ce patient n’est autre que son père, installé dans la maison familiale, sur une colline. Pour s’y rendre, un seul chemin, incluant un passage sur un pont, particulièrement dangereux en période de crue. Alors qu’il pense avoir passé le plus dur, la voiture de Jean est emportée par les flots. Parvenant miraculeusement à s’en extraire, le docteur n’a plus d’autre solution que de rallier la maison de son enfance par les chemins, à pied ! Arrivé sur place, il s’aperçoit que la colline est devenue une île, isolée de tout et de tous. De quoi ravir son père, amateur de récits d’aventures sur des îlots (L’Île au trésor, Robinson Crusoë). Coincés dans la maison, admirant les eaux qui montent inexorablement, le père et le fils se confrontent. Après des années d’absence, Jean est de retour au bercail. Il n’a donné presque aucune nouvelle pendant des années. Le père, quant à lui, a bien des secrets à révéler sur les origines de son fils. L’isolement leur est bénéfique. La parole libérée, ils peuvent enfin communiquer, raconter. Si le père est resté au village toute sa vie, malgré sa passion pour les romans d’aventures, le fils a quitté la région très jeune, étouffé sans doute par ce village où tout le monde connaît tout le monde. De l’Algérie des années 1930 où le jeune homme qu’il était a laissé plus que des souvenirs, à Poulo Condor, cette île au sud de l’Indochine qui abritait un bagne, en passant par ceux de Guyane, le jeune infirmier a fait ses armes dans les conditions les plus terribles, côtoyant une violence inouïe. Revenu dans sa région natale, Jean n’a jamais parlé à son père de ses voyages et de sa vie d’avant. Mais il faut dire qu’on ne parlait pas beaucoup dans cette famille. Est-ce le sort de Simone, la grande sœur de Jean, qui a lié les langues à jamais ? Est-ce la tristesse de Clémence, la mère, et son amour encombrant qui ont fait fuir le jeune homme ? Et que vient faire ce voisin, mort au front lors de la Première Guerre mondiale, dans l’histoire familiale ? Parvenant avec beaucoup de maîtrise et d’intelligence à mêler les histoires familiales avec l’Histoire de la France, de la Première Guerre mondiale jusqu’à la guerre d’Algérie, Quella-Guyot et Morice nous livrent une magnifique bande dessinée. C’est avec subtilité que les auteurs abordent la relation père-fils et les différences de points de vue. La confrontation de deux générations étonne : qui, du père ou du fils, est le plus ouvert ? Avec ces personnages attachants, son intrigue captivante et ses réflexions sur la colonisation, les bagnes et la résistance, L’Île aux remords est un ouvrage remarquable.

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