Littérature française

Georges-Marc Benamou

Le Roi est mort, vive le Roi !

L'entretien par Linda Pommereul

Librairie Doucet (Le Mans)

Dans son roman construit à la manière d’un thriller politique, version House of Cards à la française, Georges-Marc Benamou dissèque les affres du pouvoir et dresse, à travers l’épisode de la fuite à Baden, l’émouvant portrait d’un vieux roi fatigué à qui les révolutionnaires veulent couper la tête.

Georges-Marc Benamou était étudiant en 1968. Il fut marqué par la violence des événements et par la figure de De Gaulle qu'il associe à son grand-père (une émotion venue de l'enfance). L'idée d'en faire un roman a germé au fil des années. Utiliser la fuite du général à Baden comme matériau historique lui permet de croiser la grande Histoire avec les petites histoires pour s'infiltrer dans les endroits où les historiens ne vont pas. Georges-Marc Benamou n'a pas voulu écrire un roman historique comme il a pu le faire avec Le Dernier Mitterrand, mais plutôt décrypter cette histoire passionnelle entre les Français et De Gaulle. Il dresse le portrait d'un homme fatigué, dépassé par les attaques des réseaux mondialistes œuvrant pour la transformation à marche forcée de la société française. Le chef de guerre prestigieux livre une dernière bataille contre lui-même, contre les anarchistes sous contrôle qui le défient. Un récit qui fait la part belle à des héros d'un autre temps, Massu et son épouse Suzanne, figure majeure de la résistance, ainsi qu'Yvonne de Gaulle.

 

PAGE — Mai 1968. La France subit un mouvement contestataire sans précédent. Le général De Gaulle prend une décision qui va être un véritable choc !
Georges-Marc Benamou — C’est le fameux trou noir de la disparition du général à Baden, un sujet qui depuis bien longtemps m’intriguait. J’ai pensé à ce vieux monsieur qu’était le général. J’ai associé son image à celle de mon grand-père. Et cette émotion qui remontait de l’enfance a germé comme une graine. Ce n’est pas un roman historique mais plutôt un roman policier politique. C’est également une allégorie d’un roman sur la France, sur les Français, qui a aussi des résonances contemporaines.

P. — Alors qu’il convoque les grands ordonnateurs du gouvernement dans un face-à-face parfois tyrannique, De Gaulle montre l’image d’un homme dépassé par la situation et qui ne trouve plus de solutions. Comment en est-on arrivé là ?
G.-M. B. — Il est vrai qu’à ce moment-là, De Gaulle n’a pas dormi depuis dix jours. L’Élysée reçoit des informations alarmistes comme quoi il devrait être attaqué le lendemain par une grande manifestation communiste. La goutte d’eau qui va faire déborder le vase, selon Georges Pompidou dans ses mémoires, c’est l’agression de madame De Gaulle. Alors qu’elle fait ses courses avec son chauffeur dans le XVIIe arrondissement, un quartier bourgeois, elle se fait alpaguer avec violence par un homme en voiture. Ce qui sidère De Gaulle, fait rapporté par Pompidou, est que l’agresseur a une DS. Cette simple idée qu’un bourgeois puisse conspuer madame de Gaulle valait mieux qu’un référendum. C’est cette partie romanesque qui m’intéresse. Finalement, il n’y a pas que De Gaulle. C’est un vieux roi dépassé. Il y a aussi des personnages comme Yvonne de Gaulle, Suzanne Massu, des clowns lyriques, des comploteurs fascistes.

P. — De Gaulle décide de partir pour Colombey dans le secret. Pourtant il n’arrivera jamais à destination.
G.-M. B. — C’est le départ à l’anglaise, les préparatifs se font dans la nuit. Les valises se transportent dans le secret. On assiste à la fuite de Varennes. Un autre trou noir de notre société. Un moment donné où le père symbolique s’en va. Ces grands moments d’inquiétude qui marquent l’inconscient collectif. De Gaulle part pour ne plus revenir. Il arrive à Baden face à Massu, un para, l’ancien chef de la bataille d’Alger. C’est l’homme qui va retourner De Gaulle. Il va y avoir ce match métaphysique, ce match de boxe où ce « con » de la légende – que tout le monde méprise et qui a toutes les raisons d’être aigri – va sauver l’âme de De Gaulle en le convainquant de revenir.

P. — L’entrevue entre De Gaulle et Massu montre l’intelligence du vieux chef de guerre face à un président qui veut utiliser la force.
G.-M. B. — De Gaulle est véritablement perdu. Tout est possible : la fuite en Irlande comme la scène qui ouvre le livre où, dans la nuit du 10 au 11 mai, De Gaulle demande à ses ministres de faire tirer. Et cette idée de tirer sur la foule est une idée persistante. Mais le bilan humain de mai 68 reste très léger grâce à la tempérance de ses ministres qui refusent les ordres. De Gaulle pense aussi que sa légende ne peut pas se permettre un carnage comme Louis-Philippe sur le boulevard des Capucines. Finalement, ce n’est pas un tendre. C’est un homme cynique qui pense que le xxe siècle a le cuir trop sensible. De Gaulle ne peut pas se permettre 200 morts.

P. — Dans ce roman, vous exposez la figure de l’homme de pouvoir anéanti, sa solitude qu’il porte comme une blessure face à ce peuple qu’il ne comprend plus.
G.-M. B. — Ce roman, c’est la déchirure d’une histoire d’amour. C’est aussi une réflexion sur le rapport un peu névrotique, un peu monarchique, entre un président et son peuple. Ce qui m’intéresse le plus dans le traitement romanesque, ce sont les vieux rois fatigués et blessés. Ce spectacle du roi affaibli, du père défaillant est pour moi plus intéressant et émouvant que la splendeur des débuts et c’est peut-être pour cela que je les aime.