Littérature française

Didier Castino

En l’absence du père

L'entretien par Linda Pommereul

Librairie Doucet (Le Mans)

Après le silence est un premier roman d’une force et d’une pudeur incroyables, qui dit pour un fils la nécessité de se construire en l’absence d’un père disparu trop tôt. Ce fils absent lors des funérailles, prend la parole afin de dire l’amour pour cet homme érigé en modèle et en faire son deuil. Et exister enfin.

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Page — Un professeur de lettres qui cite Les Fragments d’un discours amoureux (Roland Barthes, Seuil) comme accroche à son premier roman, un point de départ nécessaire à cette aventure littéraire ?
Didier Castino — J’ai trouvé que ce texte s’imposait. L’acte d’écrire, c’est aussi un commencement pour moi. Je ne sais pas encore si je suis un écrivain car je ne suis pas prêt à envisager mon travail comme tel. J’ai du mal avec cette étiquette, d’ailleurs. Par contre, le fait d’être enseignant me donne davantage la possibilité de fréquenter les textes, de favoriser la circulation entre la lecture et l’écriture.

P. — En quelques phrases, pouvez-vous nous présenter votre roman, cette chronique du milieu ouvrier ?
D. C. — Je ne connais pas ce milieu. Le personnage du fils ne le connaît pas non plus. En fait, le point de départ de mon texte, c’est la volonté de faire un choix narratif, celui qu’un narrateur mort prenne la parole. Car derrière ce postulat, il y a une posture à tenir pour celui qui le fait parler. Dans ce récit, je voulais évoquer le récit père/fils, qui est un thème assez convenu et souvent traité en littérature. Mais ici, l’opposition père/fils passe par la volonté du fils d’en terminer avec cette image paternelle élogieuse.

P. — Le monologue intérieur comme procédé littéraire permet au père de s’adresser au fils, mais il permet surtout à celui-ci de restituer la personnalité de cet homme fantasmé et idéalisé.
D. C. — Le monologue intérieur, c’est le récit autobiographique d’un ouvrier syndicaliste engagé politiquement, qui croit en Dieu et au parti communiste. Il a des principes et la parole qui circule autour de ce père est unanimement élogieuse. Donc le fils s’interroge et tente de mesurer ses actions pour restaurer une vérité. Se met en place une narration à la première personne qui, au départ, est le récit du père. Mais très vite, par d’infimes détails, le lecteur se rend compte que cette vision de l’usine est celle du fils qui n’y a jamais mis les pieds. Il restitue seulement, par le biais des différents témoignages, ce monde qu’il ignore. Vers le milieu du roman, le fils se détache de la personne du père pour affirmer sa propre voix. On passe du milieu ouvrier à celui de la bourgeoisie. Mais se pose alors la question de l’ascension sociale et des racines. Comment se débarrasser de ce père mort qui pèse de tout son poids sur les épaules de cet homme de 40 ans.

P. — Un élément important dans votre roman, c’est le rapport au corps, surtout quand il correspond à un effort physique.
D. C. — Le milieu ouvrier est un milieu très physique. Effectivement, il me paraît nécessaire de décrire les corps dans l’effort. Les corps en souffrance dans la fonderie quand il soulève des moules de plusieurs tonnes, les corps transpirent, s’usent. Mais le corps est mis en scène autrement, lors des vacances, quand le père et le fils s’affrontent dans une course très physique.

P. — Louis est un ouvrier qui existe par l’usine, un militant qui défend la cause ouvrière. Pourtant, dès le début du roman, le lecteur est conscient qu’il a d’autres aspirations.
D. C. — Cet ouvrier a une exigence, celle de construire une vie digne. Il a le souhait pour ses trois fils qu’ils deviennent des hommes respectables. Il espère que les enfants d’ouvriers pourront faire des études. Un exemple marquant : lui qui lit peu donne régulièrement à sa femme des romans aux titres évocateurs. Il offre L’Homme révolté de Camus, Les Travailleurs de la mer de Hugo… Sa conception de l’amour répond à cette même attente. Il n’a pas envie de dire qu’il est amoureux car il trouve ce terme trop léger. L’amour prend une dimension sérieuse et grave. C’est cette exigence qu’interroge le fils, car il a besoin de comprendre.

P. — Le deuil du père est impossible, pourtant il devient nécessaire pour ce fils partagé entre un fantôme encombrant et sa volonté de devenir un homme.
D. C. — Toute une mythologie s’est créée autour du père, du camarade, de l’ami, et on assiste à des réactions délirantes suite au décès de Louis. Il ne doit pas mourir. Son souvenir doit rester vivant dans les esprits. Rose sa femme ne veut pas vendre sa voiture qui restera garée devant la maison avec l’interdiction pour les enfants de jouer à l’intérieur. Le temps se fige pour la famille. Les enfants souhaitent que Rose sorte et rencontre un autre homme, ce qui lui est impossible. Sa vie s’est arrêtée à la mort de Louis. Une longue période de deuil commence alors. Même mon éditeur m’a avoué que 150 pages sur le deuil, c’était trop long, qu’il fallait passer à autre chose (rires !). Pourtant je ne crois pas que ces pages soient mortifères. Comment peut-on vivre après la mort d’un tel homme ? Le fils doit s’affranchir de cet état ; il interpelle le père de manière parfois violente et brutale : « Je ne suis pas ouvrier et je t’emmerde ». Il doit exprimer cette colère et ce doute qui le rongent. Il doit se réapproprier ce père. Alors il récupère tous les papiers qui le concernaient, sa carte d’identité, le compte rendu de procès... La confrontation père-fils se fait dans le silence de l’absence. Le « je » du père devient le « je » du fils, qui s’empare de la parole du père, ce qui crée une tension permettant au fils d’entendre sa voix, la voix d’un homme.

Sélection prix du Style 2015 et Fête du livre du Var 2015