Littérature étrangère

Ouvrez votre imaginaire

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Par Linda Pommereul

Librairie Doucet (Le Mans)

La collection « L’Imaginaire » de Gallimard nous régale de deux pépites : Rendez-vous secret de Kôbô Abé, et L’odeur du foin de Giorgio Bassani. Rendez-vous secret relate l’histoire 
d’un homme qui enquête sur la disparition de sa femme. L’Odeur 
du foin est un portrait de la bourgeoisie italienne de Ferrare.

Giorgio Bassani, romancier et poète italien, a lié son existence à la ville de Ferrare où il passa une partie de sa jeunesse. Son œuvre est rassemblée dans le cycle du roman de Ferrare. L’odore del fieno sublime une écriture qui dit la peur de l’oubli, la construction de soi grâce à l’écriture. Bassani met en scène la mémoire et les fantômes qui l’encombrent, il raconte la souffrance d’avoir été persécuté en tant que juif. Il raconte aussi le sentiment de trahison qui hante ces familles juives italiennes qui, malgré leur intégration et persuadées que Mussolini n’était pas Hitler et que les lois raciales ne les concernaient pas, disparurent par milliers dans les camps d’extermination. Bassani, comme Leonardo Sciascia en Sicile, ausculte le microcosme de la société provinciale pour dresser un portrait de la nature humaine. L’un des personnages centraux de son œuvre, c’est la ville de Ferrare, enfermée à l’intérieur de ses remparts, à la fois protégée du monde extérieur et par trop centrée sur elle-même. Ferrare devient l’incarnation de toutes les obsessions de Bassani, un espace mental qui lui permet d’explorer ses souffrances, un rempart à l’absurdité du monde. L’écriture de Bassani est élégante, mélancolique, presque élégiaque. Les textes qui composent ce livre reprennent des thèmes récurrents chez l’auteur : la ville de Ferrare et cette bourgeoisie juive que montrent si magnifiquement le mystérieux « Jardin des Finzi » ou « Lunettes d’or ». D’inspiration plus autobiographique, « L’odeur du foin » sublime les réflexions de Bassani. Comme Bassani, Abé Kôbô est un écrivain de l’introspection et de la métaphore. Ses personnages apparaissent comme les instruments de sa propre révolte. Dire l’incompréhension d’avoir été victime et exclu parce qu’on est né juif, dénoncer une société trop bureaucratique, ce sont des thèmes qui parcourent les livres des deux écrivains. Rendez-vous secret est une course éprouvante dans le labyrinthe bureaucratique japonais. Le narrateur cherche sa femme enlevée par deux ambulances à 4 heures du matin, à l’hôpital, où tout le monde semble étrangement coopératif et prêt à aider le personnage dans la recherche de sa bien-aimée. Ses investigations conjugales lui feront croiser des gens plus fous et décalés les uns que les autres. Pour ceux qui n’ont jamais lu de textes d’Abé Kôbô, celui-ci est une excellente introduction à une œuvre étonnante. Plusieurs de ses thèmes favoris sont ici réunis : quête de soi et de l’autre, labyrinthe bureaucratique et absurdité de l’administration. On retrouve également les caractéristiques singulières de son écriture : l’humour décapant et décalé servi par une pointe de fantastique. Dans ce texte, la multitude des personnages, les lieux, les situations parfois dérangeantes, le style nerveux nourrissent un sentiment de malaise persistant. La quête du narrateur se termine d’une manière si brutale et si intense que vous en resterez sans voix. Car Abé Kôbô distille son venin page après page, dosant avec un talent incroyable l’absurde et le rationnel. Rendez-vous secret est un roman policier au style poétique d’une rare noirceur, et en même temps une comédie où règne l’énergie du désespoir.