Littérature française

Jean d’Ormesson

Œuvres

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Chronique de Stanislas Rigot

Librairie Lamartine (Paris)

1973, l’Académie française. Aujourd’hui, La Pléiade. Jean d’Ormesson vient rappeler à ceux qui s’arrêtent paresseusement à son image d’homme public qu’il est l’un de nos grands écrivains, installé à une étonnante croisée des chemins, entre classiques et modernes. En voici la preuve par quatre.

Seizième auteur depuis 1930 a avoir l’honneur d’entrer vivant dans ce véritable saint des saints de la littérature que représente encore et toujours La Pléiade, Jean d’Ormesson profite de l’occasion qui lui est donnée pour s’offrir un redoutable autoportrait en creux traversé de nombreux jeux de miroirs et de non moins nombreuses chausse-trapes, bien loin de la simple compilation de moments forts d’une carrière qui n’en manque pas. Pourtant si l’on regarde la liste des quatre ouvrages sélectionnés, les sujets qu’ils sont censés aborder, de Au revoir et merci à Histoire du juif errant, en passant par La Gloire de l’empire et Au plaisir de Dieu, l’auteur semble bien tendre la joue aux critiques qui lui sont adressées, celles qui n’ont de cesse de le résumer à cette succession de clichés récurrents. Oui, il se considère comme un sujet de choix ; oui, il considère que sa famille l’est tout autant ; oui, il aime l’Histoire et la Philosophie, et les Sciences et la Littérature et il l’écrit, et son érudition semble n’avoir d’autre borne que les limites qu’il se donne. Mais pourquoi dans son cas s’arrêter à l’homme et son sujet, voire l’idée que l’on se fait de l’homme et les idées que l’on se fait de ses idées (pour être plus juste), ne laissant à l’œuvre, au mieux, qu’une vocation de décor ? Et au-delà des affrontements des anti et des pro, tout cela n’est-il pas le premier pare-feu que l’auteur dresse et contre lequel la plupart se cogne ? Ainsi, dès la première édition chez Julliard de son quatrième ouvrage Au revoir et merci en 1966 (il sera repris chez Gallimard en 1976, augmentée d’une préface ici présentée), Jean d’Ormesson se révèle un grand maître dans l’art de l’ambiguïté. Derrière une déclaration d’intention pourtant claire (tout est dans le titre, non ?), le livre ne cesse de se dérober à sa lecture, ce fameux « au revoir » annonçant un adieu maintes fois repoussé le long de chapitres (quel adieu ? à qui ?) où le « je », omniprésent sous prétexte de dresser le bilan d’une vie qui jamais ne se clôture, prend à plusieurs reprises ses distances avec une autofiction bien trop commune pour satisfaire les appétits déjà fort conséquents de son auteur. Et entre hommage à la littérature et réflexions, se dessine la première œuvre maîtresse de son auteur. Et si Au revoir… n’est pas la simple confession d’un jeune homme à ce qui lui semble être un tournant de sa vie, pourquoi résumer l’ébouriffant La Gloire de l’empire à un simple exercice de style, un livre d’histoire où tout n’est pourtant qu’invention ou, pire, un roman historique où toute vérité est maquillée ? Et comment à la lecture considérer Au plaisir de Dieu comme un simple roman familial ? Et Histoire du juif errant comme une aimable fable ? Des indices ici, des clefs là, ce temps qui n’a de cesse de revenir au centre des écrits et ce style nourri aux plus grands sans être asservi. Cette Pléiade est une promesse de grande traversée.

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