Littérature étrangère

József Debreczeni

Le Crématorium froid

✒ Stanislas Rigot

(Librairie Lamartine, Paris)

Resté inédit en France jusqu’à aujourd’hui, ce texte nous plonge avec effarement dans une nouvelle variation de l’horreur nazie, en suivant le destin de son auteur qui, déporté à Auschwitz en 1944, finit par échouer dans un crématorium froid à Dornhau où il découvre une autre forme de mouroir.

József Debreczeni est un auteur hongrois (il était romancier, poète et journaliste) déporté en mai 1944, les autorités hongroises, en coordination avec les Allemands, ayant alors organisé de vastes rafles tardives dans la communauté juive. Dans le témoignage qu’il écrira à sa sortie des camps et qui sera publié dans son pays en 1950, la date a une importance cruciale, même s’il échouera à franchir le rideau de fer soviétique avant de tout simplement tomber progressivement dans l’oubli. D’abord les déportés ont déjà entendu parler des camps, sont au courant de certaines choses, transmettent des rumeurs, ont une idée de là où ils vont. Ensuite cette vague de nouveaux prisonniers va aussi arriver dans des lieux où l’organisation est parfaitement huilée et où des formes de sociétés se sont recréées au sein des prisonniers. Et qui dit société, dit hiérarchie et qui dit hiérarchie… Avec une minutie remarquable, József Debreczeni va alors décrire l’horreur dans laquelle il plonge, lui et ceux qui seront dirigés (ou qui auront la bonne idée comme l’auteur) de prendre la file de droite à la sortie du train à leur arrivée à Auschwitz, ce qui leur évitera la mort dans les minutes qui suivront ce tri. Mais il va aussi décrire à quel point le système concentrationnaire s’appuie au sein même des différentes communautés internées sur des collaborateurs issus de ces mêmes communautés, qui vont à de très nombreuses occasions littéralement se substituer aux « bourreaux d’origine », se révélant par moments encore plus redoutables que leurs gardes, pour une miette de pain supplémentaire ou une meilleure place dans le dortoir, recréant des castes de dominants dans l’enfer. L’une des grandes forces de ce livre est alors de mettre en lumière l’effroyable lucidité des nazis qui s’appuie sur toutes les parts d’ombre possibles pour amplifier leur travail de destruction. Mais ce ne sera malheureusement pas tout puisque le destin de l’auteur va l’amener à évoluer au sein de différents secteurs dans ce qu’il appelle le pays d’Auschwitz, ce qui lui permettra d’avoir un point de vue assez large de ce dernier jusqu’à ce que son ultime étape le mène à Dornhau, un camp hôpital qui se révélera être un crématorium froid, un mouroir qui ne dit pas son nom et où la moindre ignominie pourra se justifier dans l’espoir d’une hypothétique survie. Ce livre de József Debreczeni est un nouvel ajout au canon, terriblement fourni, de la littérature concentrationnaire.

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