Beaux livres

Frédéric Laffont

Au 24 Faubourg Saint-Honoré

✒ Stanislas Rigot

(Librairie Lamartine, Paris)

À l’instar de Maylis de Kerangal dans Un monde à portée de main, Frédéric Laffont se saisit ici de l’esprit d’un artisanat, dans un cadre d’exception mais étonnamment non dénué d’une certaine fantaisie, celui de la Maison Hermès. Il nous offre un grand voyage au sein de ce qu’il appelle « la tribu ». Un vrai bijou. Sans jeu de mots.

En 2021, Frédéric Laffont avait publié Une vie par le menu, un livre qui, sous des allures de vraie fausse biographie de Bernard Pacaud, chef trois étoiles de l'Ambroisie, mythique restaurant de la place des Vosges à Paris, se révéla être un coup de cœur majuscule, de ceux qui marquent d'autant plus durablement qu'ils vous ont saisi par surprise. Ce livre était porté par une écriture d'une profonde humanité où la beauté du geste du cuisinier se fondait avec une rare élégance dans l'histoire de ce gamin placé dans un orphelinat lyonnais. Trois années ont passé et Frédéric Laffont nous revient avec un autre livre bouleversant sur un sujet qui, de prime abord, semble lui aussi plus porté à l'hagiographie qu'à la littérature, la Maison Hermès. Et pourtant, la magie de cette écriture agit une fois encore. Et si le collectif, par le prisme de « la tribu », a remplacé l'individu du précédent ouvrage, ce n'est que pour mieux faire résonner le chœur de ce Au 24 Faubourg Saint-Honoré constitué de la multitude des destins entrelacés de cette maison. Le début du livre n'était pourtant pas des plus rassurants, la directrice du patrimoine culturel évoquant aussi bien les refus faits aux précédents prétendants que sa surprise devant l'acceptation par les dirigeants de ce nouveau projet : « écrire l'histoire de la maison serait déjà la falsifier ». Mais si Frédéric Laffont a obtenu le blanc-seing si convoité, c'est bien parce que son livre n'est pas le récit héroïque de la métamorphose d'un atelier de harnais en l'une des plus puissantes maisons du luxe au monde mais parce qu’il est un véritable récit de voyage dans une contrée où une population a développé rites et coutumes au service d'un idéal commun que nous découvrons avec l'évocation sensible de cet artisanat hors normes. Jouant de la chronologie pour toucher l'essence même de ce qu'on pourrait qualifier d'esprit des lieux, l’auteur convoque les paroles, insère les voix de quelques témoins clefs (Annie et les légendaires vitrines) ou inattendus (Yasmina la jardinière et son jardin d’Éden suspendu au 5e étage du bâtiment), évoque une anecdote qui en dit tant, cite des auteurs dont les propos résonnent en accord (Paul Valéry) ou bien encore il joue des échos des siècles passés (la grotte de Lascaux) pour s'arrêter sur des objets clefs qui sont autant de balises (le cheval à bascule), le tout se déroulant dans un immeuble aux allures de dédale, véritable personnage central du livre.

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