Littérature française

Jean-Baptiste del Amo

« Les larmes de résine »

L'entretien par Stanislas Rigot

Librairie Lamartine (Paris)

Cinq ans après Règne animal (Gallimard et Folio), Jean-Baptiste Del Amo revient avec l’un des romans les plus attendus de cette nouvelle rentrée, Le Fils de l’homme, une histoire aux allures de tragédie où, sur fond de malédiction familiale, s’entrechoquent les hommes et la nature, entre noirceur et beauté.

Comment êtes-vous passé du Règne animal au Fils de l’homme ?

Jean-Baptiste del Amo - Je n’ai pas vraiment l’impression d’être passé de l’un à l’autre. Bien souvent le texte à venir apparaît bien avant celui que je suis en train d’écrire, ce sont des histoires que je porte durant de nombreuses années. Et bien que les textes soient en apparence relativement différents, j’ai l’impression qu’ils communiquent l’un avec l’autre. Par exemple, Règne animal se terminait sur un épilogue avec un caractère presque mythologique et Le Fils de l’homme s’ouvre sur un prologue qui revêt ce caractère-là. Pour moi, c’est un texte qui s’inscrit vraiment dans le prolongement direct de Règne animal mais peut-être en changeant de focale sur les thématiques qu’il aborde.

 

Contrairement à Règne animal et ses générations successives, ici, seuls trois personnages sont au cœur du récit.

J.-B. del A. - D’abord, je dois dire qu’ils ne sont jamais nommés : c’est « le père », « la mère » et « le fils ». Ce qui pourrait être un détail dit peut-être quelque chose sur mon intention de tirer cette histoire vers le mythe. Cela fait maintenant plusieurs romans que je travaille sur la thématique de la transmission de la violence, en particulier des pères aux fils, et de la domination des hommes sur la nature et sur leurs semblables. Sans doute, avec Le Fils de l’homme, je vais vers quelque chose qui est plus resserré et avec une portée plus symbolique. Il y a donc « le père ». Celui-ci resurgit dans la vie de son ex-compagne et de leur fils de 9 ans après des années d’absence relativement mystérieuses et il les emmène dans une maison en montagne, dans laquelle lui-même a grandi auprès d’un patriarche assez particulier. À mesure que le temps passe, la mère et le fils comprennent que le père les a emmenés là sans intention de retour.

 

Vous évoquez la notion de mythe mais le livre ne tombe pourtant jamais ni dans la fable, ni dans le conte.

J.-B. del A. - Il était nécessaire pour moi que ce soit une histoire contemporaine, qui nous parle, qu’on ait envie de progresser dans ce livre et de comprendre les motivations à la fois de cet homme mais aussi cette mère : pourquoi accepte-t-elle de suivre cet homme qui reparaît et qu’elle semble craindre ?

 

L’histoire est racontée du point de vue de l’enfant.

J.-B. del A. - C’est un point de vue que j’avais déjà adopté en partie dans les deux dernières parties de Règne animal. Et je me suis aperçu avec ce roman-là que j’avais de plus en plus envie de traiter de l’enfance, de la manière dont elle se heurte et se brise contre la dureté, la violence et la réalité du monde des adultes. Je savais que ce livre-là serait aussi le récit d’une confrontation entre un enfant et son père et qu’il serait le personnage central. Il est traité à la troisième personne et c’est un livre dans lequel j’ai préféré, je crois, bien souvent, les images à la pensée. Il porte une attention particulière aux gestes, aux corps, bien plus qu’à la psychologie des personnages dont je me désintéresse de plus en plus.

 

Ce procédé fonctionne très bien pour tenir le suspense, dans le rapport père-fils mais aussi dans le rapport de l’enfant avec la nature.

J.-B. del A. - C’était une partie importante du projet : cet enfant grandit dans une maison d’un quartier ouvrier d’une petite ville de province et se retrouve du jour au lendemain dans cette nature omniprésente au printemps, en pleine montagne, entouré par des bois profonds et des bêtes sauvages. Et bien évidemment, pour lui, elle prend une dimension très sensuelle, sensitive et menaçante, par moments symbolique, onirique. Ce drame, cette presque tragédie, se niche dans ce décor d’une nature omniprésente et presque omnisciente, dotée de sa propre volonté.

 

Paradoxalement, malgré ce que le lecteur imagine des grands espaces, l’air est extrêmement étouffant.

J.-B. del A. - Oui, c’est vraiment un huis clos à ciel ouvert. C’est vrai qu’étrangement j’avais à l’esprit une lecture d’adolescent, Shining de Stephen King, et je me suis vraiment intéressé à la manière dont tout ce milieu pouvait devenir hostile. Alors il ne l’est pas de manière systématique, puisque l’enfant a aussi cette capacité d’enchantement qui lui permet de créer un lien particulier avec la nature qui l’entoure. Néanmoins, à mesure qu’on avance dans le texte, on a l’impression que cette montagne va se refermer sur eux, presque en cherchant à les ensevelir.

 

Votre style oscille entre poésie et rudesse, sans jamais tomber dans une quelconque forme de romantisme.

J.-B. del A. - En tant qu’écrivain, j’ai l’impression d’avancer à tâtons, à la recherche d’une langue qui me soit propre. Avec  Le Fils de l’homme, j’ai sans doute l’impression d’avoir trouvé ce point d’équilibre, une langue probablement plus âpre que celle de Règne animal, mais que j’ai toujours essayé d’entraîner du côté des images, de façon à provoquer chez le lecteur des évocations fortes et sensorielles.

 

À propos du livre

Une famille (un père, sa compagne et leur fils) s’enfonce au cœur de la montagne pour aller s’installer dans ce qui a été la demeure du grand-père paternel. Le trajet est tendu et ne tarde pas à devenir littéralement éprouvant lorsqu’ils se retrouvent dans l’obligation d’abandonner la voiture et de poursuivre à pied. Parallèlement à ce qui ressemble déjà à une aventure, nous suivons la réapparition de cet homme, quelque temps auparavant, auprès de ceux qu’il considère toujours comme sa famille, après des années passées sans avoir donné la moindre nouvelle. Pourquoi revient-il ? Que cache ce retour ? Le Fils de l’homme s’inscrit dans une œuvre forte et singulière, parfois dérangeante, nous offrant ici un drame ramassé, à l’os, où les lignes de faille se déplacent de l’homme à la nature, du père au fils, sans que rien ne semble pouvoir empêcher la fatalité de s’abattre à nouveau.