Littérature française
Nos ravissements
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Marguerite Duras
Œuvres complètes, t. 1
Gallimard
20/10/2011
1696 pages, 58 €
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Dossier de
Stanislas Rigot
Librairie Lamartine (Paris) -
❤ Lu et conseillé par
8 libraire(s)
- Gilles Melie Cendo de Masséna (Nice)
- Geneviève Gimeno de Maupetit (Marseille)
- Joëlle Lesauvage de Ryst (Cherbourg-Octeville)
- Marie Boisgontier
- Daniel Berland
- Catherine Florian de Violette and co (Paris)
- Joëlle Huleux de Éveils FERMEE ()
- Carine Bastié de Privat (Toulouse)
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Marguerite Duras
Œuvres complètes, t. 2
Gallimard
20/10/2011
1920 pages, 62 €
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Dossier de
Stanislas Rigot
Librairie Lamartine (Paris) -
❤ Lu et conseillé par
8 libraire(s)
- Gilles Melie Cendo de Masséna (Nice)
- Geneviève Gimeno de Maupetit (Marseille)
- Joëlle Lesauvage de Ryst (Cherbourg-Octeville)
- Marie Boisgontier
- Daniel Berland
- Catherine Florian de Violette and co (Paris)
- Joëlle Huleux de Éveils FERMEE ()
- Carine Bastié de Privat (Toulouse)
✒ Stanislas Rigot
(Librairie Lamartine Paris)
Duras, enfin. L’entrée en Pléiade de l’une des plus grandes romancières du xxe siècle l’année du centenaire des éditions Gallimard est l’événement littéraire de cette fin d’année. Une invitation d’or et d’argent à se plonger dans les fulgurances et les ambiguïtés d’une œuvre hors normes, de la vie. Duras. Enfin.
Quinze années après sa disparition, que reste-t-il de Marguerite Duras, née Donnadieu ? Un roman ( ) qui a rejoint le rang des classiques validés, trompettes et tambours, par l’Éducation nationale, la généreuse institution lui offrant par la même occasion une place de choix dans les formulaires d’aide à la lecture ainsi que le voisinage, de choix lui aussi, trompettes et tambours, de Molière et Amélie Nothomb.
Autre chose ? Un titre (L’Amant) qui semble survivre dans les replis de la toujours mouvante mémoire collective par la grâce de la politique de rediffusion télévisuelle (merci TF1) de son adaptation cinématographique (merci Jean-Jacques), bien plus que par le souvenir hasardeux de son prix suprême (Goncourt en… en… en… ?) ou celui, tout aussi hasardeux, de sa lecture (longtemps je me suis co… non… aujourd’hui maman est mo… non plus…)
Autre chose ? Il ne faudrait pas oublier la rafale de clichés qu’épaississent les années (un verre, Marguerite ? une cigarette, Marguerite ? un pull et un gilet, Marguerite ?) baignant dans l’écho toujours redoutable des sentences définitives d’un Pierre Desproges qu’on avait connu plus inspiré.
Mais encore ? Des ripostes, bien sûr, avec ici les défenseurs de Moderato Cantabile, avec là les partisans du Ravissement de Lol V. Stein , avec là encore les croisés de La Douleur, mais la postérité semble cruellement réductrice avec Marguerite Duras.
Dans ce contexte, la parution en Pléiade, sous la direction de Gilles Philippe, des œuvres complètes de la romancière en quatre tomes (les deux premiers sortant cette année, les deux suivants étant prévus pour 2014, année du centenaire de la naissance de l’auteur) apparaît comme une juste remise en lumière de la diversité et de la richesse de son travail.
Mais pour arriver à ces volumes, il fallut résoudre de nombreux problèmes : la densité du corpus durassien posait question ; le cheminement parfois erratique de l’auteur au travers du roman, mais aussi de la nouvelle, du théâtre (ses pièces composées ou les pièces adaptées comme La Mouette de Tchekhov), au travers du cinéma (écrit pour d’autres puis écrit pour et par elle) ou des nombreux articles de presse qu’elle rédigea ; ses changements d’éditeurs ; le goût qu’elle développa à de nombreuses reprises pour la réadaptation de ses propres textes, pour les variations qu’elles en fit, ne facilitait pas plus la tâche – par exemple, le sujet de sa pièce de théâtre Les Viaducs de la Seine-et-Oise fut remanié sous la forme d’un roman, L’Amante anglaise , devenant lui-même quelque temps plus tard une nouvelle pièce de théâtre, Le Théâtre de l’amante anglaise . La quantité de textes de toute nature était donc impressionnante et face à cette masse se répartissant sur plus de cinquante ans, le choix a été fait de les agencer de manière chronologique, en ne sélectionnant que les livres parus du vivant de l’auteur. C’est ainsi que le périple commence avec Les Impudents , publié en 1943, et que le deuxième tome se termine avec India Song , publié en 1973. Ce choix nous permet de plonger au cœur même de la création, d’observer l’auteur partir d’une forme que l’on peut qualifier de classique pour progressivement se découvrir et donner naissance à ce style inimitable − souvent parodié, souvent de manière involontaire −, puis y renoncer, puis se le réapproprier à nouveau au gré de l’ébauche des différents cycles constituant le corpus (le cycle indien, le cycle atlantique…) La naissance d’une écriture.
Le premier tome s’étend de 1943 à 1960 et contient les premiers classiques, le fameux Barrage susnommé, mais aussi le bouleversant Moderato Cantabile qui balisera la voix des chefs-d’œuvre à venir ; on y trouvera par ailleurs La Vie tranquille , tombé dans l’oubli depuis et qui pourtant fut l’un des plus beaux succès commerciaux de l’auteur. Ce tome annonce la diversité, puisque à côté des romans s’y côtoient déjà recueil de nouvelles et théâtre.
Le deuxième tome attaque avec le cinéma (Hiroshima, mon amour) et contient les chefs-d’œuvre inoubliables que sont Le Ravissement de Lol V. Stein , véritable monolithe de la littérature ne révélant ses secrets qu’avec une extrême parcimonie alors que sa beauté vous noie, ou bien Le Vice-consul, et se termine par India song , comme un étonnant effet d’annonce pour la suite de l’œuvre en affichant sous son titre le prémonitoire : « texte théâtre film ».
Pour accompagner ces textes, à son habitude, la Pléiade nous offre un appareil critique remarquable qui se voit renforcé ici par une multitude de documents (ébauches, réflexions…) insérés non à la fin des volumes, mais après chaque texte concerné, dans des sections appelées « Autour de… » qui apportent encore plus de profondeur à ce voyage, l’un des plus fascinants de la littérature contemporaine.
« Michael Richardson se passa la main sur le front, chercha dans la salle quelque signe d’éternité. Le sourire de Lol V. Stein, alors, en était un, mais il ne le vit pas. »