Bande dessinée

Brecht Evens

Le Roi Méduse, t. 1

  • Brecht Evens
    Traduit du néerlandais par Brecht Evens et Wladimir Anselme
    Actes Sud
    17/01/2024
    282 p., 32 €
  • Chronique de Sarah Gastel
    Librairie Terre des livres (Lyon)
  • Lu & conseillé par
    11 libraire(s)
illustration

Chronique de Sarah Gastel

Librairie Terre des livres (Lyon)

Avec Le Roi Méduse, première partie d’un diptyque, Brecht Evens revient avec un conte graphique époustouflant, aux couleurs disruptives, pour conter la relation tendre et trouble entre un père et son fils face au reste du monde. Le dessinateur flamand au sommet de son art !

Depuis Les Noceurs publié en 2010 et jusqu’aux Rigoles, errance de trois noctambules dans une ville chimérique, récompensé du Fauve prix Spécial du Jury 2019 au festival d’Angoulême, Brecht Evens stupéfie par son travail graphique inimitable, comme sorti d’un esprit libre, presque éthylique. Chaque page est une création à part entière, où aquarelles, gouaches et lavis composent un univers en perpétuelle métamorphose-anamorphose, réaliste et psychédélique. Si le dessinateur affiche une prédilection pour les récits polyphoniques entremêlant de nombreux personnages, l’intrigue du Roi Méduse se déroule dans un cadre spatial limité, une île et une maison, dont les contours prennent vie avec l’histoire d’Arthur qui grandit auprès d’un père mutique et catatonique, au visage effacé. Pressentant que les silences peuvent empêcher l’amour de prospérer, le jeune garçon apprend à écrire ainsi que la langue des signes pour établir un contact avec ce dernier. En vain. Ce sera finalement par ses dessins, qui vont devenir le socle de leur monde, qu’il va réveiller son paternel. En quelques pages jaunes incandescentes balayant le vert mortifère de la maison en désordre, Brecht Evens peint les commencements d’une relation fusionnelle. Seulement Arthur évolue auprès d’un père paranoïaque qui se croit en permanence observé par les Dirigeants et cherche à rallier la résistance organisée par les Alliés. Reclus dans un foyer transformé en quartier général, soumis à un entraînement quotidien et à un système d’alimentation ciblés pour développer des facultés cognitives et physiques, le jeune garçon voit le monde à travers les yeux de son père : un monde hostile, menacé par un vaste complot, où il faut se méfier de tout le monde. Surgissent aussi d’insolites personnages à l’image d’Anémone, tendre pirate de pacotille avec son attaché-case, ou encore Passiflore qui lit l’avenir. Mais le jour où son père disparaît, les certitudes du garçonnet se mettent à vaciller. À travers ce terrain de vie en total décalage avec la réalité, opaque, restitué par une perspective chahutée d’inspiration cubiste, Brecht Evens livre un huis clos familial fascinant qui interroge les croyances et la peur de ce qui nous est étranger. Le lecteur est ensorcelé par l’atmosphère de ce rêve éveillé à l’inquiétante étrangeté, adouci par la féerie des couleurs néons rappelant l’œuvre de Kandinsky et par les pleines pages regorgeant de détails et de chausse-trappes. Une œuvre d’art à couper le souffle.

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