Littérature française

Annie Ernaux

Le Jeune Homme

illustration

Chronique de Sarah Gastel

Librairie Terre des livres (Lyon)

Après avoir écrit autant de textes importants, Annie Ernaux a-t-elle encore quelque chose à dire ? Avec Le Jeune Homme, l’écrivaine nous fait cadeau d’un merveilleux récit bref qui cristallise ses thèmes majeurs, d’une nouvelle pièce maîtresse d’une œuvre qui en comporte beaucoup.

Depuis Les Armoires vides (Folio), son premier roman, récit fictionnalisé de son avortement clandestin, jusqu’au Jeune homme, en passant par Les Années (Gallimard et Folio), point incandescent de son œuvre, Annie Ernaux explore le réel dans une comédie humaine distanciée où l’intime éclate dans une écriture minimaliste à nulle autre pareille. Parce qu’elle se pense au milieu du monde, ses récits, capsules autobiographiques et sociologiques, touchent à l’universel. Ils traversent les générations pour raconter le corps féminin, le reclassement social, le roman familial, la recherche de justice sociale, la mémoire et l’oubli. Ils donnent aussi à ressentir le passage des années, du temps en nous et hors de nous. Alors que Passion simple et L’Événement (Gallimard et Folio) viennent d’être portés à l’écran, l’écrivaine, qui a inspiré de nombreux écrivains comme Édouard Louis, Nicolas Mathieu ou Delphine de Vigan, est de retour avec Le Jeune Homme. Elle y raconte à la première personne sa liaison amoureuse avec un jeune homme de trente ans son cadet dans les années 1990. Lui, étudiant précaire, habite Rouen, la ville où elle a été étudiante dans les années 1960, et regarde tous les soirs Nulle part ailleurs. Elle redevient la « fille scandaleuse » de sa jeunesse. À ses côtés, elle parcourt les âges de la vie et revit des scènes de son passé : « Il y a trente ans, je me serais détournée de lui. Je ne voulais pas alors retrouver dans un garçon les signes de mon origine populaire, tout ce que je trouvais « plouc » et que je savais avoir été en moi ». À travers ce jeune homme, « porteur de la mémoire de [s]on premier monde », Annie Ernaux fait ressurgir de manière vertigineuse ses différents « moi » et sauve « quelque chose du temps où l’on ne sera plus jamais ». Le présent charnel du couple se mêle dans un savant jeu d’échos à la cruelle conscience de sa propre finitude, de son vieillissement. Le temps est toujours la grande affaire de l’autrice qui donne à ressentir le passage des années et pousse le lecteur à comprendre ce qu’il a vécu. Comment parvient-elle à décrire avec pareille justesse l’évolution et l’ambivalence des sentiments ? Dans ce récit palimpseste, Annie Ernaux, qui pressent l’importance de cette relation dans le chemin de l’écriture, livre aussi un magnifique hommage à la littérature. « Si je ne les écris pas, les choses ne sont pas allées jusqu’à leur terme, elles ont été seulement vécues. »

 

Les autres chroniques du libraire