Littérature étrangère

Gwendolyn Brooks

Maud Martha

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Chronique de Sarah Gastel

Librairie Terre des livres (Lyon)

Unique œuvre de fiction de la poétesse américaine Gwendolyn Brooks, prix Pulitzer 1950, Maud Martha raconte l'histoire d'une fille qui devient une femme dans le Chicago noir des années 1940. Un chef-d’œuvre.

Largement inspiré de la vie de l’autrice, ce roman aux reflets chatoyants se compose de trente-quatre tableaux, impressions ou souvenirs, dans lesquels sont encapsulés les moments clefs de l’existence de Maud Martha : enfance, jeunesse, mariage, vie conjugale et maternité. Chaque historiette est délicate, nuancée et lumineuse, la matière composite de la vie faisant éclore au fil des pages une nouvelle dimension du personnage. Assise sous la véranda de la maison familiale, Maud Martha contemple à l’âge de 7 ans les pissenlits, ces « joyaux jaunes pour tous les jours, constellant la robe verte et rapiécée de son jardin » et aime « peindre la musique (do bleu profond, ré délicatement argenté) ». Jeune mariée, dans son appartement-kitchenette minuscule, elle rêve de New York, « de textures aussi douces que de la mie de pain » et d’offrir au monde la meilleure version d’elle-même tout en restant très lucide sur sa condition de femme noire de la classe ouvrière. Comment vivre notamment quand on sait qu’il existe une ligne de démarcation entre les blancs et les noirs ? Mais nulle amertume pour la jeune femme qui considère que la vie tient plus de la comédie que de la tragédie et qui érige son désir imaginatif face aux corvées domestiques quotidiennes et au racisme systémique. Si elle évoque, dans ses réflexions fulgurantes, les désillusions vécues et les violences silencieuses, il y a toujours à chaque page cette vie intérieure éclatante qui explose dans des délices de détails sensoriels et impressifs. Initialement publié en 1953, la même année que La Conversion de Baldwin, Maud Martha est une grande œuvre littéraire traversée par les questions raciales. Ce portrait extraordinaire d’une vie ordinaire possède l'éclat de l'universel et constitue la magnifique évocation de ce qui aurait pu être.

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