Littérature française

Sébastien Dulude

« Je me nourris du bon feu, j’éteins le mauvais. »

Entretien par Sarah Gastel

(Librairie Adrienne, Lyon)

Avec Amiante, qui l’impose d’emblée comme un auteur à suivre, le Québécois Sébastien Dulude livre un grand récit d’enfance et happe le lecteur avec une force stupéfiante. Un émouvant premier roman qui nous rappelle que cet âge tendre est devant nous, comme un territoire émotionnel toujours à arpenter.

Pourquoi éprouve-t-on, à l’approche de la cinquantaine, le besoin d’aller vers ce territoire de l’enfance par le roman ?

 

Sébastien Dulude Après avoir essayé de toutes les manières de parler de cette histoire ‒ notamment à travers la poésie ‒, je n’arrivais pas tout à fait à explorer ce que j’avais envie de faire avec Amiante. Je souhaitais placer des relations sur le territoire très particulier de la ville minière de Thetford Mines. J’avais envie de m’inventer un meilleur ami extrême, un inséparable, un complice complètement opposé à Steve et, peut-être par cruauté, je désirais détruire cette relation pour voir ce qui arriverait.

 

 

 

Quel est ce territoire dans lequel évoluent les personnages qui contribue à l’ambiance si particulière du livre ?

 

S. D. Le territoire du roman a été une de mes premières intuitions d’écriture. J’ai vécu dans ce quartier de l’âge de 6 ans à mes 16 ans. En marge de Thetford Mines, le quartier Mitchell borde l’un des plus grands puits d’amiante de la région. Il s’agit d’une mine à ciel ouvert dont tout le minerai extrait est concassé pour en retirer la fibre d’amiante, puis compacté en terrils immenses qui donnent au paysage un aspect lunaire. Le tout entouré de vastes forêts. Pour des enfants, ces espaces ont une échelle étourdissante. Six jours sur sept, le bruit constant des camions devenait une rumeur presque rassurante, tandis qu’un dynamitage secouait le quartier tous les après-midis à 16h. C’est dans ce territoire à la fois hostile et magique que j’ai voulu faire évoluer les deux amis, en quête perpétuelle d’un abri pour partager leurs douceurs innocentes.

 

 

 

Qui sont ces deux jeunes garçons et que pouvez-vous nous dire de la relation qui les unit ?

 

S. D. Le père de Steve est mineur-camionneur, sa mère reste à la maison. C’est un enfant anxieux, introverti, il aime la lecture. Et le petit Poulin est tellement son opposé qu’il devient presque le fantasme de tout ce que Steve n’est pas capable d’être. Le petit Poulin, c’est un enfant volatile, hyperactif, aventureux. Quand Steve se fait offrir un bijou par ce dernier, il est ravi mais il est tout de suite anxieux parce que son père souhaite pour lui un modèle beaucoup plus conforme à la masculinité de l’époque. C’est une humiliation pour un enfant de prendre conscience qu’il n’est ni le garçon ni l’homme en devenir qu’aurait espéré son père. Cette violence psychologique était normale à l’époque et avec le petit Poulin, Steve peut être tout à fait lui-même. Évidemment, quand cette chimie s’envole, disparaît, explose, elle va lui manquer cruellement.

 

 

 

Vous évoquez la relation au père. Qu’est-ce que l’image récurrente des mains du père dit de ce dernier et de l’environnement ?

 

S. D. Je me rends compte que les lecteurs du livre voient le background sociologique industriel comme un principe très actif. Dans ma tête, il a toujours été là ‒ j’y ai grandi ‒ et je le voyais presque comme un principe métaphorique : dans une ville qui est comme un trou, le destin des gens est de descendre au fond pour creuser toujours plus. Et la main du père est là pour garder Steve, pour l’écraser : il cherche à le fondre dans sa ville de force, à l’incorporer à ce seul destin possible. Avec le petit Poulin, Steve cherche au contraire à s’envoler. Ils se font des cabanes dans les arbres : c’est vers le haut que se trouve pour eux la porte de sortie.

 

 

 

Dans la seconde partie du roman, le personnage de Cindy émerge.

 

S. D. Cindy apparaît à Steve avec une flamme rouge : elle porte un t-shirt de Massive Attack et elle incarne cette explosion-là. Elle est intéressée par le social, regarde cette ville, essaie de la faire sauter. Elle réveille les désirs adolescents de Steve, comme un élément catalyseur. Elle lit Stephen King, l’amène à Montréal. Évidemment, elle comble un peu le départ du petit Poulin mais elle incarne beaucoup plus de vigueur concrète que lui qui finit par revêtir, cinq ans plus tard, les contours d’un rêve.

 

 

 

Eté 1986, à Thetford Mines, ville phare de l’industrie de l’amiante québécoise, Steve, 9 ans, et le petit Poulin, 10 ans, sont inséparables. À un âge où tout se vit intensément, ils partagent des aventures à la vie à la mort jusqu’à cette journée d’août où un événement marquant va bouleverser leur existence. Cinq ans plus tard, on retrouve Steve, en perte de repères, qui refuse de se conformer à ce qu’on attend de lui. Amiante est un magnifique récit initiatique sur la difficulté d’être soi-même et le vide que l’on porte à l’intérieur de nous. Sa force réside dans son écriture sensuelle, éblouissante comme un soleil rasant, et son refus de l’explicite qui intensifie les émotions contenues par ses personnages en quête de leur propre destin.

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