Bande dessinée

Néjib

Haute enfance

✒ Sarah Gastel

(Librairie Adrienne, Lyon)

Avec le beau et doux-amer Haute enfance, Néjib croque avec justesse le caractère sauvage de l’enfance et la fin de l’insouciance après un épisode emblématique. Un roman graphique initiatique qui marque le retour du dessinateur sur ses terres natales.

Banlieue de Tunis, 1986. Slim, le narrateur, pas plus haut que trois pommes, aime poser des miettes de pain sur le sommet de son crâne pour que les oiseaux viennent les picorer. Très doué au foot, il admire par-dessus tout son grand frère Farid qu’il a la fâcheuse tendance d’espionner. Ce dernier, reconnaissable à ses cheveux jaune paille, redoute plus que tout l’exercice de la récitation en classe. Il tente également de garder secret son départ prochain pour la France, ce qui ne lui évite pas pour autant de se faire insulter de « francaoui » au téléphone. Un jour, le cadet, après avoir menacé son aîné de révéler aux parents ses lectures secrètes de Penthouse, se retrouve embarqué dans une aventure à la vie à la mort menée par Smurfeddine, meilleur caillasseur des environs, et à laquelle se joint Ghassen qui se prend pour Rambo. À l’école, l’instituteur est sévère et prompt à distribuer des coups de règle, caché derrière une grande paire de lunettes noires. Le quatuor, plein de ressentiments, prépare une expédition punitive. Débute alors une traversée pleine d’embûches – des chiens menaçants, un épicier malhonnête, une bande rivale – sous le bleu éclatant du ciel de Tunis. On se souvient tous que l’enfance est un univers à part entière et aussi le temps du détail. Néjib, le premier. Avec ce roman graphique à fleur de sensations, puisant dans ses souvenirs, le dessinateur, né à Tunis, se détourne des récits amples et foisonnants qu’étaient Stupor Mundi (fresque médiévale autour de l’invention de la photographie) et la trilogie Swan (fascinante plongée dans un Paris haussmannien effervescent à la rencontre des impressionnistes). Il crée une intrigue resserrée et tout en mouvements où les adultes sont relégués au second plan : les traits des parents sont à peine esquissés, comme dans un théâtre d’ombres chinois, et les habitants sont colorisés en gris. L’alternance dynamique de vues en plongées et contre-plongées renforcent la dimension dramatique de l’histoire et l’usage prédominant de gros plans fait ressortir les jeux de physionomie et les émotions des personnages. Enfin, le trait épuré et vif, assorti d’aplats de couleurs tranchées et symboliques (comme le rouge associée aux scènes brutales), permettent de toucher du doigt les jeux et les invariants de l’enfance. Néjib livre avec ce nouveau roman graphique un récit universel où se dégagent, au cœur des silences, la beauté et parfois l’âpreté de cet âge doré.

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