Littérature étrangère
Selva Almada
Ce n'est pas un fleuve
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Selva Almada
Ce n'est pas un fleuve
Traduit de l'espagnol (Argentine) par Laura Alcoba
Métailié
14/01/2022
128 pages, 16 €
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Chronique de
Sarah Gastel
Librairie Adrienne (Lyon) -
❤ Lu et conseillé par
7 libraire(s)
- Christelle Chandanson de Elkar (Bayonne)
- Yann Leray de Alpha Bureau (Monistrol)
- Sarah Gastel de Adrienne (Lyon)
- Valérie Schopp de L'Arbre à mots (Rochefort)
- Aurélie Bouhours de Au temps des livres (Sully-sur-Loire)
- Juliet Romeo de La Madeleine (Lyon)
- Ophélie Drezet de La Maison jaune (Neuville-sur-Saône)
✒ Sarah Gastel
(Librairie Adrienne, Lyon)
Dans cette fable envoûtante d’une beauté à couper le souffle et racontée à fleur d’eau, Selva Almada célèbre l’éclat sauvage de la nature à travers l’histoire de trois hommes empêtrés dans leur masculinité.
Près de Santa Fe, sur un bateau au milieu d’un fleuve, trois hommes luttent de longues heures pour attraper une raie imposante. Il y a les inséparables Enero et Negro, deux hommes d’âge mur dont l’amitié date de l’enfance, et le jeune Tilo, le fils de leur ami disparu quelques années plus tôt dans ces mêmes eaux. Grisés par le vin, la prise glorieuse et l’obsédant soleil argentin, ils blaguent et palabrent dans un total abandon des sens. La quiétude de ce trio reconstitué vole en éclats lorsque Aguirre, un habitant de l’île où ils séjournent, vient à leur rencontre, le regard méfiant et inquisiteur face à ce gâchis. « Ce n’était pas une raie. C’était cette raie-là. Une bête magnifique, déployée dans la boue au fond de l’eau, elle a dû briller, blanche comme une mariée dans les profondeurs que la lumière n’atteint pas. Couchée sur le limon ou planant avec ses voiles, comme un magnolia de l’eau. » Au cœur de cette forêt ogresse, au temps immobile, cette virée se métamorphose progressivement en aventure intérieure. Les fantômes du passé affleurent et dansent avec les vivants dans une farandole macabre et somptueuse, entre réalisme et onirisme. Le fleuve se révèle un exhausteur d’états d’âme et fait écho à la rudesse et à la beauté du quotidien. Jouant des éléments et des sens, Selva Almada, prodige des lettres argentines, fredonne l’énigme de la nature humaine. Elle démythifie l’amitié masculine et fait éclore de magnifiques personnages féminins qui tentent de s’émanciper dans une société patriarcale. Dans ce merveilleux conte impressionniste traduit par Laura Alcoba, où l’homme est chahuté comme une brindille, le lecteur oscille sur une fragile ligne de crête entre inquiétant sentiment de danger et curieuse sensation d’apaisement. Éblouissant.