Littérature française

Rwanda, 30 ans après

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✒ Sarah Gastel

(Librairie Adrienne Lyon)

Alors que cette année marque la commémoration des 30 ans du génocide des Tutsi au Rwanda, quatre ouvrages replongent dans cet événement indicible « pour ne pas se laisser ensevelir par le silence des uns, la logorrhée négationniste des autres ou, tout simplement, l’indifférence du monde ».

Face aux abîmes d’incompréhension auxquels nous renvoie le printemps 1994 qui a emporté plus d’un million de personnes, l’ouvrage Le Choc, Rwanda 1994 : le génocide des Tutsi continue d’interroger l’indicible. Mêlant des contributeurs issus de diverses disciplines, survivants, témoins directs ou indirects, il ne propose pas une Histoire générale du génocide, mais de saisir « comment les sciences sociales, la littérature, les arts, le droit et la justice ont rendu compte de la complexité de ce génocide depuis trois décennies ». Il pointe notamment le rôle joué par les auteurs dans la préservation de la mémoire, un enjeu clairement identifié par Dorcy Rugamba. Ce drame « à la portée des historiens et des sociologues comme fait social et historique […] restera toujours une ombre insaisissable tant qu’il ne rendra pas aux victimes un nom, un visage, une humanité singulière ». Les parents, frères et sœurs du dramaturge ont été parmi les toutes premières victimes de ce déchaînement de violence. Tout en se demandant comment saisir la dimension de cet événement, Dorcy Rugamba adresse, dans ce court récit au ton direct, des lettres bouleversantes aux absents. Avec des mots d’avant, il cristallise des souvenirs heureux : son père, Rwamo, poète et fondateur d’un théâtre à ciel ouvert, qui « a vécu toute sa vie un stylo à la main », sa mère « complice et moderne », chérissant ses 45 tours et la saga romanesque des Gens de Mogador. Raconter pour donner corps aux siens, voilà la réussite de Hewa Rwanda. Julienne s’inscrit aussi dans cette démarche en éclairant un destin que le génocide n’a pas pu faire oublier à Scholastique Mukasonga. Dans ce roman éponyme émouvant, l’écrivaine conte le destin malheureux de sa plus jeune sœur. Sixième enfant d’une famille pauvre et petite fille chétive mal-aimée, Julienne grandit dans les années 1960 sous la protection de sa sœur aînée. Alors, quand cette dernière part étudier au Burundi, la jeune fille, qui voit son horizon se rétrécir avec l’apartheid imposé par le régime hutu, décide coûte que coûte de rejoindre Livia. Elle ira au-devant du malheur et de l’amour vrai. Et parce qu’il est essentiel que la parole des principaux concernés soit entendue, Beata Umubyeyi Mairesse place au cœur de son incroyable recueil de poèmes, Culbuter le malheur, la question de la réappropriation du récit du génocide rwandais : « S'il te plaît vois entends mais ne dis rien / C'est à moi de tisser mon récit / Ne fais pas comme les autres / Qui prennent leur nombril pour un chas / Par lequel je devrai passer. »