Littérature française

Nancy Huston

Le Club des miracles relatifs

✒ Sarah Gastel

(Librairie Adrienne, Lyon)

L’œuvre de Nancy Huston est imprégnée par les questions de l’identité et de l’altérité. Ses personnages connaissent un sentiment de dédoublement dans un monde de plus en plus complexe. Varian, le jeune héros de son nouveau roman, ne fait pas exception.

À OverNorth, « pays le plus gentil, le plus poli, le plus civilisé et le plus riche per capita de la planète », Varian est infirmier sur le site d’extraction pétrolière AbsoBrut, terres de désolation où convergent des masses de chômeurs. Sept ans après avoir rejoint cette machine infernale, il est arrêté et interné dans une institution dénommée BigMax, au prétexte d’activités clandestines. On découvre ainsi que s’il s’est aventuré dans cette région, c’est dans l’espoir d’y retrouver son père, marin-pêcheur évaporé et sacrifié. Sans nouvelles de son époux, sa mère a perdu les pédales. C’est ainsi que commence ce curieux roman, qui, repoussant les frontières de l’imaginaire, met en scène une société impensable, mais déjà présente, sous de multiples aspects : l’extrême solitude des êtres, l’exclusion et l’indifférence, le travail à la chaîne, l’injonction de faire toujours mieux et davantage, que viennent rappeler des panneaux d’affichage – « Sois ! Choisis ta vie ! Ose ou meurs ! Sois unique ! Gagne plus, sois plus ! » – quadrillant les rues. Pourtant, l’enfance du jeune homme commence comme un conte de fées sur une petite île. Et à Nancy Huston de dénouer la pelote pour remonter aux origines de cette histoire. Né dans un « beau cocon de chants et de rires », entre un père qui l’initie très tôt à la pêche et une mère qui lui fait découvrir l’univers magique des livres, ce petite garçon, né prématuré et minuscule, est entouré d’un amour sans faille. Considéré comme un messager, il illumine les journées de sa mère pendant que son père est en mer. C’est un garçon sensible et inquiet qui s’interroge dès l’âge de 4 ans sur le sens des mots et cherche des réponses à ses innombrables questions. Les années passent, la classe se fait captivante, la récréation, un calvaire. Quand il parle, sa parole jaillit de manière irrégulière, « aussi heurtée et incertaine qu’une barque en mer agitée ». Il se révèle vite surdoué et passe son été à lire les classiques grecs et latins dans le texte. Mais malgré l’amour de sa famille, il s’isole. Il part comme dans un autre monde. Le départ de son père, qui ne peut plus pêcher la morue dans une mer surexploitée, finira par lui faire perdre pied complètement. Dans son précédent roman, Bad Girl (Babel), Nancy Huston revenait sur son enfance et l’histoire de sa vie marquées par le départ de sa mère alors qu’elle était âgée de 6 ans. Dans Le Club des miracles relatifs, il est encore question d’absence, celle du père, figure branlante, qui ne peut servir de repère dans un monde que transforme l’hyper-industrialisation. En mettant en scène un univers bouleversé, où la terre est exploitée et malmenée autant que les êtres, l’auteur délivre une belle fable subtile et grave sur le fait d’être dans un monde qui va beaucoup trop vite. Et de poser la question : « Que peut faire un homme qui chérit la couleur grise, les mouettes, les horizons, la pluie, le bois flotté, la pluie, la poésie russe lorsque le monde se ligue contre lui sans cesse et le rend furieux ? ».

Les autres chroniques du libraire