Littérature française

Henri Raczymow

Heinz

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Chronique de Marie Michaud

Librairie Gibert Joseph (Poitiers)

« Parfois, le soir, sans raison, je me sentais très triste. » C’est à partir de ce sentiment mystérieux qu’Henri Raczymow a entrepris une (en)quête identitaire autour du fantôme d’Heinz Dawidowicz, qui le hante depuis toujours.


Combien d’enfants portent, comme Henri Raczymow, le prénom d’un parent disparu pendant la Shoah ? Henri était le prénom de son oncle, le frère de sa mère, arrêté début 1943 et déporté à Lublin-Majdanek. En fait, c’était Heinz, parce qu’il était né en Allemagne sur le chemin qui conduisait ses parents de leur Pologne natale à la France, et qu’ils avaient choisi un prénom qui lui permettrait de s’intégrer dans ce pays. Ils s’installèrent finalement à Paris, et Heinz fut francisé en Henri. Né cinq ans après l’arrestation de son jeune oncle de 19 ans, Henri Raczymow a vécu dans « l’ombre portée de sa vie et de sa mort », et sa relation avec sa famille (en particulier sa mère) en a été absolument altérée.


La nécessité d’écrire sur cette absence constitutive, sur cet homme inconnu dont il était chargé, en quelque sorte, de renouveler l’existence, s’est imposée au bout de nombreuses années et après plusieurs autres livres. Il entame alors des recherches pour combler le vide laissé par le silence familial autour du disparu. Il apprend peu de choses, parfois il ne fait que retrouver ce qu’il sait déjà, et il est surtout confronté à autant de nouvelles questions que d’éléments mis au jour. Après la vie familiale à Belleville, il raconte le passage en zone libre, fin 1942 en Charente (mais comment la famille a-t-elle échappé aux grandes rafles de juillet ?), l’arrestation début 1943 (pourquoi seulement Heinz et pas toute la famille ?), le transit dans différents camps (pourquoi Gurs au pied des Pyrénées avant de rejoindre Drancy ?), le départ par le convoi 51 (arrivé à Majdanek ou à Sobibor ?)…


Si c’est bien à un devoir de mémoire que se livre Henri Raczymow dans Heinz, c’est avant tout à une nécessité vitale qu’il répond avec une très grande pudeur. En écrivant ce livre intime, lui « le seul survivant et le seul dépositaire de ces bribes éparses », explique avoir voulu « dire le rien », mettant son talent d’écrivain au service de ce qu’il appelle, à l’échelle de l’histoire juive européenne, la « mémoire trouée ».


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