Littérature française

Leila Bouherrafa

Étranges étrangers

Entretien par Marie Michaud

(Librairie Gibert Joseph, Poitiers)

Étrangère. Voilà tout ce qui reste de l’identité de Layla. Mais bientôt, elle pourrait devenir française par la grâce d’un entretien de naturalisation. Un parcours du combattant qu’elle affronte la tête haute mais le cœur plein de questions. Un conte contemporain dont on ressort ému et ouvert aux autres.

Comment est née l’envie de raconter le parcours de Layla pour devenir française ?

Leïla Bouherrafa - J’ai travaillé plus de dix ans dans le secteur associatif auprès de personnes réfugiées et à aucun moment je ne m’étais dit que j’allais écrire sur le sujet. Je pense que l’idée est née bien avant que je ne commence à écrire : je me suis nourrie de toutes mes expériences, de scènes auxquelles j’ai assisté, souvent absurdes et violentes, et ça a débordé sur le papier.

 

Pourquoi avez-vous choisi d’écrire ce roman à la première personne, de donner cette voix à Layla ?

L. B. - L’intention de ce roman, c’était vraiment de s’intéresser aux effets que la démarche vers la naturalisation peut avoir sur un individu, sur son ressenti. Ce que cela produit sur une personne qui – peu importe les raisons – se retrouve du jour au lendemain dans un pays comme un étranger, à devoir tout réapprendre même ce qui ne s’apprend pas, c’est-à-dire la solitude, la liberté, l’indifférence. Le « je » était pour moi comme une évidence.

 

Comment avez-vous imaginé la formidable galerie de personnages autour de Layla ?

L. B. - Chacun de ces personnages est important parce que leur situation renvoie l'image d’une France dysfonctionnelle. C’est le cas de Claude, une vieille retraitée française qui se retrouve à dormir dans la rue du jour au lendemain et pour qui la nationalité française ne garantit ni logement ni sécurité. Et puis, il y a Momo. C’est un des seuls qu’elle a connu en dehors de cette procédure. C’est un homme d’une cinquantaine d’années qui tient le manège de la place de Ménilmontant mais, à un moment, la mairie de Paris le juge trop « barbu » pour pouvoir continuer son métier au contact des enfants. Et pourtant il est français. Layla se lit d’une amitié très forte avec lui. Elle le voit comme une sorte de modèle.

 

Votre roman s’attache aussi, à travers le regard de Layla, à voir ceux que l’on ne voit pas ou ceux qu’on voit mal. Aviez-vous envie de pousser le lecteur à regarder différemment ?

L. B. - C’est exactement ça. Le lecteur assiste à toutes les phases que Layla traverse, de la soumission absolue au début du roman à la révolte finale, en passant par toutes les désillusions qu’elle va connaître. Au-delà des sujets de l’identité et de l’intégration, mon roman est vraiment un roman d’émancipation. C’est une jeune femme qu’on a assignée à une case avec tout ce que ça implique de préjugés, de fatalisme et de contraintes, qui va – avec son expérience, son vécu et ses rencontres – apprendre à voir par elle-même, à se faire confiance et à s’émanciper à la fois du regard des autres mais aussi du rôle qu’on a voulu lui assigner.

 

Votre titre est très beau. Pourquoi l’avoir nommé ainsi ?

L. B. - Layla est vraiment dans cette logique très naïve de devoir mériter quelque chose qui, pour 67 millions de Français, est un dû. Mais elle le prend au pied de la lettre : elle veut mériter cette nationalité, elle veut apprendre à maîtriser le français parfaitement au détriment de sa langue maternelle. Et puis, il y a cette phrase de Momo vers la fin du livre : « Tu mérites un pays ». C’est là où le basculement se fait et où elle comprend que le mérite, c’est aussi la réciprocité : il faut qu’elle mérite ce pays, cette nationalité mais elle ne s’était jamais dit que, peut-être, ce pays devait la mériter aussi.

 

Pour donner une voix à Layla, vous vous mettez à sa hauteur. Comment avez-vous travaillé cet aspect ?

L. B. - On parle toujours de ce sujet d’actualité avec une sorte de complaisance : même quand on essaie de comprendre, on regarde toujours de haut. J’avais envie de faire un personnage fort avec ses doutes et qui évolue au fil des pages. Pour moi, Tu mérites un pays, c’est l’histoire de cette prise de conscience, de cette métamorphose. Et comme il y a une évolution tout au long du roman, je pense que le lecteur se met vraiment à sa hauteur. Pour cela, j’ai aussi travaillé la langue. J’avais vraiment envie d’inventer une sorte de langue poétique, très douce, pour justement contrecarrer ce sujet un peu difficile que je ne voulais pas traiter « sans poésie ni sentiment ».

 

À propos du livre
Layla est arrivée cinq ans plus tôt d’un « là-bas » qu’elle ne nomme jamais comme pour en préserver le souvenir. Quand son assistante sociale lui annonce qu’elle va enfin bénéficier d’un entretien pour obtenir la nationalité française, c’est un grand jour mais aussi l’aboutissement d’un flot de questions sur ce qu’est être français et surtout ce qu’il faut accepter pour mériter de le devenir. Mais Layla est une jeune femme que son intelligence et son ouverture aux autres vont rendre plus forte et plus libre. Au fil des pages et des rencontres, elle découvre que la France est plus complexe que la terre d’accueil espérée. Un roman profondément humain porté par une galerie de personnages riches et émouvants.

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