Le crachin écossais n’est pas un mythe : il participe à l’atmosphère particulière qui se dégage d’Édimbourg où se côtoient des parcs verdoyants et fleuris et de très anciennes ruelles pavées sombres et inquiétantes. C’est là que Paula Hawkins nous a accueillis – dans sa ville d’adoption – pour nous parler de L’Heure bleue, loin de l’île isolée où se déroule l’intrigue du roman mais sous les cimaises d’une exposition de peintres contemporains où l’on pourrait croiser le fantôme de Vanessa Chapman. L’occasion d’évoquer ses sources d’inspiration, son travail quotidien d’écriture et de recherche ou sa manière de brouiller les pistes pour mettre l’imagination des lecteurs en action. À Édimbourg, vous pourrez certes entendre résonner au coin d’une rue un air de cornemuse mais, en tendant l’oreille, vous pourrez peut-être aussi percevoir le souffle des disparus ou celui du vent sur les hauteurs d’une île où une femme peintre vit recluse.
Quel a été le point de départ de ce roman ?
Paula Hawkins Le cœur du roman, c’est le lieu. En 2017, j’étais en vacances en Bretagne et j’ai découvert que beaucoup d’îlets dépendaient des marées. Il y avait des maisons sur certains d’entre eux et je me suis demandé quel genre de personne pourrait aimer vivre sur une île avec une unique maison. J’ai déplacé l’île en Écosse parce que je voulais qu’elle soit froide, venteuse et sombre. Plus ou moins au même moment, j’ai su que je voulais écrire sur une artiste : c’était la personne parfaite pour se retirer sur une île comme celle-là. L’essentiel, ce sont les marées qui font qu’à certains moments, l’île est coupée du monde. Cela vous oblige à accepter d’être à la merci d’autre chose et nécessite une sorte de reddition, ce qui me semblait important pour Vanessa : elle ne maîtrise pas tout. Elle trouve sur cette île la solitude, le calme et la possibilité d’être complètement elle-même. Elle peut se consacrer entièrement à son art.
Le point de vue, comme dans une peinture, est peut-être la chose la plus importante dans un roman. Comment avez-vous travaillé cet aspect pour ce livre ?
P. H. Évidemment, comme le livre tourne autour d’une artiste, il interroge beaucoup la question de la perception. Tout repose sur ce que chacun voit et sur la manière dont on interprète les choses, ce qui intervient dans notre compréhension, notamment nos idées préconçues, ou ce qui peut nous distraire au point de ne pas voir distinctement certaines choses. Par ailleurs, comme je savais que Vanessa était déjà morte quand le livre commence, elle ne pouvait pas être là. Pourtant je voulais qu’on entende sa voix. Je lisais beaucoup sur les artistes, sur la manière dont ils parlaient eux-mêmes de leur travail et c’est ce dont j’avais envie dans le roman. Donc j’ai écrit le journal de Vanessa. Je voulais construire ces petits instantanés pour qu’on comprenne le genre de femme qu’elle était parce que, à part ça, tout ce qu’on sait d’elle vient des autres.
Comment avez-vous imaginé les œuvres de Vanessa ?
P. H. Au début, je pensais qu’elle serait seulement céramiste mais ça ne marchait pas vraiment donc elle est devenue peintre. Parmi mes inspirations, il y a Celia Paul, une peintre anglaise contemporaine, mais aussi Joan Eardley, une artiste écossaise du milieu du XXe siècle. J’ai emprunté aussi à d’autres artistes pour décrire le processus créatif et pour imaginer le genre d’œuvres qu’elle pouvait réaliser. Pour les peintures noires, je les ai juste inventées même s’il y a un peu de Bacon. Et il y a bien sûr la sculpture au centre du roman, une sorte de puzzle dont l’étrange et inquiétant élément central se révèle être un os humain.
Qu’en est-il du titre, L’Heure bleue, qui évoque ce moment entre chien et loup, un peu inquiétant, où les apparences sont trompeuses ?
P. H. Au début, j’avais pensé à un tout autre titre, autour des os, comme dans le poème de Dylan Thomas cité en exergue. L’Heure bleue est donc arrivé bien plus tard. Mais il contient cette idée de l’altération de la perception par d’autres choses, la manière dont vous pouvez être distrait ou votre regard obscurci. Mais le crépuscule, c’est aussi le moment où l’énergie bascule, où on passe du jour à la nuit. C’est le moment où les animaux commencent à se déplacer, où les prédateurs partent à la chasse. Ça correspond bien à différents aspects du roman.
Parlez-nous un peu de Grace pour finir.
P. H. C’est sûrement le personnage principal. Vanessa était à l’origine du roman parce qu’elle est l’artiste mais, quand je me suis mise à écrire, j’ai commencé avec la voix de Grace. Au début, je ne savais pas vraiment ce qui allait se passer puis elle est devenue de plus en plus sombre. C’est le personnage dont les actes, tous les actes, font avancer le roman. Je sais qu’elle a fait des choses terribles mais, pour moi, elle n’est pas un monstre. Elle est seulement une personne étrange et solitaire qui aurait pu vivre une vie tout à fait différente si seulement quelques petites choses s’étaient passées différemment.
Lorsqu’on découvre un os humain au cœur d’une des sculptures de la célèbre artiste Vanessa Chapman alors que son mari avait mystérieusement disparu des années plus tôt, les imaginations s’enflamment. James Becker, spécialiste de l’artiste à la Fondation Fairburn, se rend à Eris, l’île où Vanessa s’était retirée pour créer et où elle avait passé les dernières années de sa vie, pour tenter de nouer un lien avec Grace Haswell, l’exécutrice testamentaire de Vanessa. Peu à peu, entre la lecture du journal de Vanessa, de vieilles correspondances et les discussions avec Grace, Becker s’approche de vérités qu’il aurait peut-être mieux fait de laisser enfouies. Un thriller à l’atmosphère vénéneuse !