Comment est né ce premier roman ?
Osvalde Lewat - J’ai perdu un ami avec qui je partageais une relation très forte, avec qui j’avais lu, à la fin de l’adolescence, Narcisse et Goldmund de Hermann Hesse. Je voulais déjà écrire à ce moment-là et on s’était promis qu’un jour, on écrirait un roman à quatre mains. Quand il est mort, ça a été l’instant de basculement décisif : je me suis dit que le temps qui nous était imparti n’était pas infini. Avec ce sentiment d’urgence, j’ai tout arrêté et j’ai commencé à écrire Les Aquatiques.
L’amitié entre Katmé, l’héroïne du roman, et Samy, son frère d’élection, a-t-elle été le point de départ du roman ?
O. L. - Tout à fait. Katmé et Samy se sont connus très jeunes et, toute leur vie, ils ont tout partagé. Jusqu’à ce que Samy décide de faire une exposition politique. C’est quelqu’un qui est pétri de doutes mais qui, en même temps, a une force de conviction incroyable sur ce qui est juste. Cette exposition va être le moment où les histoires de Katmé et de Samy vont commencer à diverger parce que Samy est arrêté. Toute la vie de Katmé va alors basculer.
Comment avez-vous construit le personnage de Katmé ?
O. L. - C’est un personnage que j’ai construit à rebours de moi. Très tôt, j’ai dû lutter pied à pied pour m’affranchir des diktats de la famille, de la communauté, du clan. Katmé, elle, a choisi une vie conventionnelle et, de compromis en renoncements, elle a réussi à construire un équilibre de vie. Si Katmé a été conçue en contrepoint de moi, je partage avec elle une partie d’histoire : j’ai perdu ma mère très jeune, je l’ai vue enterrée deux fois. Mais je voulais que ce personnage, tout au long de son cheminement, se déprenne d’elle-même et aille se confronter à cette partie obscure de son histoire à laquelle elle avait renoncé. Et Samy, à travers ce qui lui arrive, la force à se déterminer.
En réalité, ne s'agit-il pas d'un roman d’émancipation ?
O. L. - Tout à fait. Katmé a été conçue aussi à partir de personnes que j’ai connues, de l’environnement dans lequel j’ai grandi et dans lequel j’ai évolué plus tard, où beaucoup de jeunes femmes renoncent à ce qu’elles sont pour maintenir un équilibre. Et ce qui m’intéressait dans le personnage de Katmé, c’était de voir comment on peut s’affranchir de ses déterminations, conquérir sa liberté, même quand on a l’impression qu’il est trop tard ou qu’on a renoncé à être soi-même.
Katmé est prise entre deux personnages masculins. Qui sont-ils ?
O. L. - Tashun, le mari de Katmé, est très ambitieux. Il est prêt à tout pour réussir. Samy est aux antipodes. Je trouvais intéressant de placer Katmé entre ces deux figures opposées qui vont la forcer à se révéler à elle-même. Parce que lorsqu’elle est face à un choix quasiment cornélien – obéir à une énième injonction de son mari ou choisir la liberté mais aussi une vie beaucoup plus difficile – elle est forcée d’opérer un choix. Samy et Tashun permettent à Katmé de se révéler.
Parlez-nous du Zambuena, le pays que vous avez imaginé pour situer votre intrigue.
O. L. - Le fait d’avoir choisi un pays imaginaire m’apportait une liberté. Je viens du Cameroun mais j’ai vécu dans plusieurs pays africains, des espaces hétérogènes mais qui ont quand même en commun certaines réalités dont l’homophobie, la corruption, une forme de déliquescence… Mais je ne veux pas réduire l’Afrique subsaharienne à cela parce que le réel est beaucoup plus complexe. Je m’attache à dire ce qui dysfonctionne, c’est ma manière de dire le monde. Je l’ai fait à travers des photos et avec mes films documentaires. Il est important dans la démarche qui est la mienne de poser un regard sans concessions. Mais c’est à la fois un regard d’amour et un regard lucide. Les sujets que j’évoque dans le roman sont ceux qui me bousculent le plus, qui me donnent envie de crier, de me révolter, de m’indigner et c’est pour ça que j’écris.
À travers le parcours de Samy, ce sont les liens entre l’art et la vie qui apparaissent. Cela vous tenait-il à cœur de montrer ce lien ?
O. L. - Ce qui me tenait à cœur, c’était cette réflexion sur la démarche de l’artiste. Parce que Samy a une démarche bienveillante et courageuse. Elle est portant reçue de façon très agressive par les personnes qui sont le sujet de cette série de photos. Cela résonne aussi avec des remarques que j’ai pu rencontrer dans mon travail ou des remarques qu’on fait aux artistes africains. On leur reproche souvent de critiquer, de ne pas montrer ce qui va bien. Mais j’estime que l’art est aussi fait pour cela. Je porte un regard sur le monde, sur ce qui ne va pas, sur ce qui dérange… Il y a une expression camerounaise qu’on utilise souvent lorsque quelqu’un prend une position qui rompt avec l’ordre établi ou qui a des propos qui choquent. On dit : « Il a appuyé sur déranger ». Moi, j’aime bien appuyer sur déranger et c’est ce que Samy fait aussi.
À propos du livre
Lorsque Katmé reçoit une lettre indiquant que la tombe de sa mère doit être déplacée pour laisser place à une autoroute, c’est le début d’une série d’événements qui vont la bousculer au plus profond de son identité. Il lui faut en effet revenir sur cette part d’histoire douloureuse qu’elle a enfouie pour construire une vie confortable et conventionnelle avec son mari, dont les ambitions politiques sans cesse renouvelées font d’elle une femme en vue. Pourtant, au fil des ans, envers et contre tout, elle a toujours réussi à préserver son amitié absolue avec Samy. Jusqu’à ce qu’une exposition un peu trop politique du jeune homme fasse voler en éclats l’équilibre et les apparences. Et révéler des failles intimes mais aussi sociales. Ce séisme va surtout ouvrir un espace de vie et de liberté où Katmé devra choisir quel sera son avenir. Osvalde Lewat réussit, avec ce premier roman, un magnifique portrait de femme, porté par une écriture très maîtrisée.