Vous venez de recevoir le prix du livre France Bleu/Page des libraires pour Et toujours les Forêts mais vos romans ont déjà été plébiscités par des jurys très variés. Chaque prix a-t-il une saveur, une émotion particulière ?
Sandrine Collette - La particularité de ce prix, c’est d’être avant tout un prix de libraires ; et je n’oublie pas que c’est grâce à eux que j’ai fait ma place, ce sont eux qui ont conseillé (parfois obligé !) leurs lecteurs à me découvrir. Quand on dit que les libraires portent les livres, au propre comme au figuré, ce n’est pas qu’une image et je ne les remercierai jamais assez.
Le roman repose sur un personnage, Corentin, et un lieu, les Forêts. Comment les avez-vous imaginés ? Quel(s) lien(s) entretiennent-ils ?
S. C. - Je crois que l’un de mes univers d’inspiration – les contes – peut expliquer cet enchevêtrement magique : un garçon avec une existence complexe, douloureuse, devenant homme et retournant à quelque chose de l’ordre de ses racines, envers et contre tout. Corentin est l’être à vif, les Forêts sont l’être-refuge. C’est l’histoire d’une rencontre.
Mais il y a également de très importantes figures féminines dans le roman. Comment les avez-vous construites ?
S. C. - Les femmes sont des personnages sans lesquels rien de ce roman n’aurait pu arriver. Et pourtant, je les présente comme des personnages d’arrière-plan, des étais au destin de Corentin. Mais ce sont elles les véritables héroïnes. Elles ont quelque chose de presque biblique, quelque chose de profondément métaphorique et poétique malgré la dureté de l’histoire.
Et puis il y a L’Aveugle. Comment avez-vous envisagé ce personnage si singulier ?
S. C. - Par parallélisme : ce chiot aveugle trouvé par Corentin au bord du chemin est en quelque sorte son pendant animal. De l’Aveugle, Corentin apprendra beaucoup de choses sur lui-même et sur l’univers qui l’entoure. L’Aveugle est à la fois un guide et un garde-fou silencieux.
Et toujours les Forêts est un roman très « visuel ». Quelle a été l’image inspirante qui a porté l’écriture de ce roman ?
S. C. - Sans aucune hésitation : le fond de la vallée des Forêts où habite Augustine et où Corentin, enfant, va finir par échouer et commencer à se construire. C’est l’image de ce territoire immense, magique, abritant cette petite maison de pierres modeste, qui est à l’origine du roman : un endroit si puissant qu’il ne peut pas tout à fait mourir.
Ce n’est pas votre première incursion dans l’anticipation, la dystopie. Quel intérêt particulier trouvez-vous à ce type de trames romanesques ?
S. C. - Je crois que c’est de la préoccupation. Je regarde le monde autour de moi, sa façon de fonctionner socialement, humainement, économiquement, mondialement et je me dis que quelque chose ne va pas. C’est ce que je vais chercher dans mes romans : la projection de ce qui peut arriver si nous continuons tels que nous sommes lancés. Ce n’est pas un jugement, c’est un regard, une alerte.
Pourquoi avoir choisi d’articuler apocalypse intime et collective ?
S. C. - En fait, l’apocalypse au niveau macro ne m’intéresse pas. Ce qui me fascine, c’est ce qu’elle donne au niveau individuel et intime, c’est décortiquer ce qu’est un survivant et comment on fait quand on se retrouve seul au monde. Mais j’avais besoin du niveau macro, collectif, pour expliquer l’ampleur de la catastrophe, expliquer que c’était quelque chose de total.
On ne saura jamais rien sur « la chose », la catastrophe qui a détruit et fait basculer le monde. Pourquoi ce choix ?
S. C. - Justement parce que ce n’est pas l’apocalypse qui m’intéresse. Si je m’étais lancée dans la description ou l’analyse de cette chose immense qui détruit le monde, le débat serait technique : est-ce possible et qu’est-ce que c’est ? Un désastre nucléaire, une météorite, etc. ? Or le thème du roman n’est pas celui-là. C’est de Corentin qu’il s’agit, d’une survivance, d’une renaissance peut-être, dans des conditions inconnues.
On retrouve dans Et toujours les Forêts des thèmes, des obsessions qui nourrissaient déjà vos précédents romans. C’est toujours le visage sombre de l’humanité que vous questionnez, pourquoi ?
S. C. - Je suppose que c’est mon univers mental et littéraire. Mais il me semble qu’au fond, je cherche avant tout cette force sidérante que l’humain a en lui et qu’il ne va convoquer que dans des situations extraordinaires. Je le mets donc dans ces situations extrêmes pour tirer de lui cette étincelle magistrale dont il est capable et qu’il n’a aucune raison, aucun besoin de solliciter en période de confort.
Dans cet univers dévasté, Corentin n’a qu’un espoir, celui d’un lieu préservé mais aussi d’un lien préservé. C’est pour vous ce qui est essentiel à la survie de chacun ?
S. C. - Oui, ce sont mes deux conceptions de la résilience : des rencontres qui sauvent et des lieux-refuges. Selon que nous les trouvons ou non, nous sommes sauvés ou nous sommes fichus.
Dès les premières lignes de ce roman, vous avez mis en œuvre une écriture particulière qui rapproche le roman du conte. Dans quel but ?
S. C. - C’est la façon dont l’écriture s’ajuste d’elle-même à l’histoire. En fait, c’est le ton qui vient au roman, pas moi qui vais le chercher. Et cette écriture proche du conte donne peut-être une dimension universelle et intemporelle à mon histoire.
Ces temps-ci, on parle beaucoup d’un hypothétique « monde d’après ». Pensez-vous que votre roman offre matière à réflexion pour l’envisager ?
S. C. - Il tombe exactement au bon moment et offre des questions et des réflexions très proches de celles que nous avons pu nous poser depuis la crise du covid-19. Mais j’ai peu d’illusions sur un monde d’après qui serait différent. Je crois que le choc n’a pas été assez violent et que nous n’en tirerons pas ou pas assez de leçons. Donc, nous irons vers un autre choc, un autre jour.