Littérature étrangère

Camila Sosa Villada

Histoire d'une domestication

✒ Jean-Baptiste Hamelin

(Librairie Le Carnet à spirales, Charlieu)

Attendez-vous à être bousculé par le deuxième roman de Camila Sosa Villada, autrice argentine agréablement libre qui s’empare d’un sujet épineux, celui des familles différentes, « hors cases ».

« La comédienne » est sur scène et contre l’avis de tous, sûre de son talent immense, joue La Voix humaine de Jean Cocteau. Cette comédienne est trans, mariée et mère d’un enfant adopté, porteur du HIV et doublement orphelin. Une vie anciennement à cent à l’heure et donc ce mariage, cette adoption, cette domestication volontaire au nom de l’amour. Pourtant, « la comédienne » cogite énormément, revient sur ses frasques passées, brise des tabous et repousse des limites. Elle est libre dans une société encore prise dans un carcan. Hommage formidable à la scène, à la création, à la grandeur de ces comédiens inoubliables, Histoire d’une domestication interpelle également sur cette délicate équation : endosser des rôles et vivre le sien au quotidien. À travers les personnages du mari, du fils, du frère, les souvenirs de jeunesse, Camila Sosa Villada s’empare de la famille comme micro-société et tisse les interactions entre chacun, parle des ruptures, des affres de la construction d’une identité, vérifiant ainsi que chaque famille possède son propre mode de fonctionnement, souvent inconsciemment, afin de résister, de tenir dans ce qui est une sorte de prison. « La comédienne » est ainsi, en perpétuel questionnement, dans un regret de la folie du passé mais aussi dans la quiétude d’un foyer. Vulnérables, fragiles et entiers, les personnages de Camila Sosa Villada provoquent de l’émotion chez le lecteur, de l’attachement parfois douloureux. La domestication n’est pas un acte anodin : il polit les relations, il oblige à des consensus, des renoncements mais il est réciproque. Le personnage du mari est ici pour contrebalancer cette seule idée de domestication de son épouse. Il est lui aussi domestiqué. Et enfin, la langue précise devient incandescente, torrent insoumis, quand le sexe enflamme ces pages.

Les autres chroniques du libraire