Littérature française

Cyril Dion

Sortir du tunnel

Entretien par Jean-Baptiste Hamelin

(Librairie Le Carnet à spirales, Charlieu)

Au propre et au figuré, sortir du tunnel, pouvoir enfin éclater la carapace qui enferme l’Homme. Cyril Dion donne à lire le monde à travers les yeux de quatre personnages aux visions différentes et qui devront apprendre à voir avec les yeux des autres. La sortie du tunnel est à ce prix : voir et comprendre pour devenir libre.

Première sélection du Prix du Style 2017

 

PAGE — Après de nombreux documentaires écrits et filmés dont le reportage Demain, vous devenez romancier.

Cyril Dion — J’ai commencé à écrire Imago entre 2002 et fin 2006 lorsque j’organisais des congrès israélo-palestiniens. En passant beaucoup de temps en Israël et en Palestine, je côtoyais de nombreuses personnes enfermées dans leurs souffrances, dans leur territoire parfois, notamment à Gaza, enfermées dans leurs opinions politiques, conditionnées finalement. Cela résonnait fortement en moi avec cette impression de ne pas vivre notre vie propre mais plutôt vivre une vie dont la direction est déjà donnée par les circonstances extérieures, l’impression aussi de passer une partie de notre temps à essayer de casser cette prison que l’on se trimballe sur le dos. J’avais besoin d’explorer ces sentiments plus profondément et le roman offre cela, en permettant de s’identifier aux personnages, aux situations. J’ai besoin d’écrire pour comprendre.

 

P. — Après une scène inaugurale brève et marquante, quatre personnages principaux vont émerger. Les deux premiers, Nadr et Khalil, habitent à Rafah, sont frères et totalement différents.

C. D. — Nadr est un passionné de poésie, il aime beaucoup Mahmoud Darwich, Rumi. Il se sent un peu étranger à ce qui se passe autour de lui. À la fois, il a envie d’épouser ces moments de violence, d’accompagner ceux qui deviennent fous de colère face aux bombes qui tombent sur les immeubles et, en même temps, il n’aurait qu’une envie, celle de s’en aller, partir de là, être libre. Alors que son frère, Khalil, est beaucoup plus dans la « castagne ». Un jour, alors que le conflit vient de redémarrer et qu’un de ses proches amis vient d’être tué, il décide de perpétrer un attentat non en Israël mais en France, avec l’idée que les Anglais et les Français sont à l’origine de cette situation. Nadr, seul, se décide à poursuivre son frère pour l’empêcher de commettre cet attentat.

 

P. — Le troisième personnage est Fernando, passionné de littérature.

C. D. — Fernando est fonctionnaire dans une sorte de FMI, « Le Fonds ». Il a la sensation de pouvoir régler les affaires du monde à partir de son bureau, avenue de la Grande Armée, avec des tableaux Excel, donnant des crédits ici, exigeant une restructuration là. Et pour la première fois, à cause d’un changement de politique internationale, sous la pression d’ONG et de gouvernements critiquant l’attribution des crédits, le Fonds décide d’envoyer ses fonctionnaires sur le terrain. Fernando est passionné de littérature et de poésie, il s’identifie à Fernando Pessoa. Pour lui, la littérature est une chose extrêmement élitiste qui permet de comprendre le monde sans avoir besoin de s’y confronter, un rempart contre la violence. Le fait de se retrouver pour la première fois sur le terrain, en Palestine, dans une situation imprévue, va le bouleverser.

 

P. — Enfin, dernier personnage, outre les secondaires, Amandine. Cette femme est le lien qui les unit.

C. D. — Fernando et Nadr sont demi-frères sans le savoir. Leur mère, Amandine, ancienne militante humanitaire puis écologiste ne supportant plus le monde, s’est retirée dans la forêt. Amandine vit dans une double culpabilité : celle de l’abandon de l’enfant et celle de son incapacité à être mère. Je trouvais intéressant de voir comment ces personnages qui viennent du même endroit, du même ventre, pouvaient avoir des parcours différents selon leur environnement. Évidemment, leurs trajectoires vont se croiser.

 

P. — Fernando rencontre le président palestinien et ce dernier demande tout simplement la possibilité de construire un avenir pour son pays. Était-ce là le propos du roman ?

C. D. — Nous avons tendance à toujours évoquer et montrer le conflit israélo-palestinien avec ses deux protagonistes alors que c’est une triangulation avec l’Occident, responsable de ce qui s’y passe. Il est évident que l’élaboration des frontières en 1948 montre bien qu’il est impossible que ce découpage fonctionne : comment peuvent cohabiter des juifs meurtris par la Shoah, qui ont peur de disparaître, sur un territoire déjà habité par des Palestiniens dont la peur primale est que la Palestine soit entièrement rayée de la carte ? Vous avez deux populations qui sont dans cette même souffrance, tout en étant sur un territoire morcelé, la colonisation accentuant ce découpage. Mon propos était de dire et de faire dire au président palestinien : « Aidez-nous à avoir une vie décente, à développer l’économie. » Aujourd’hui, les Palestiniens n’ont rien à perdre. Cette situation est propice à la violence, au terrorisme. C’est ce que dit en creux le président palestinien. Il demande le prêt gracieux d’argent pour développer son pays, en partenariat avec les autres pays, même Israël.

 

P. — Vous parlez de prison, de conditionnement de lieu et de pensée, de la force nécessaire pour s’en libérer. Qu’évoque Imago, le titre de votre roman ?

C. D. — Imago est le dernier stade d’évolution d’une larve, juste avant qu’elle ne devienne papillon. Nous vivons dans une espèce de gangue : à quel moment allons-nous faire exploser le cocon pour devenir nous-mêmes ?

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