Littérature française

Caroline Laurent

Rivage de la colère

illustration

Chronique de Jean-Baptiste Hamelin

Librairie Le Carnet à spirales (Charlieu)

En 2017, Caroline Laurent co-écrit avec Évelyne Pisier Et soudain, la liberté (Les Escales et Pocket) qui séduit libraires et lecteurs, roman auréolé de plusieurs prix qui surprend par la force narrative et la maturité du propos. L’attente était alors forte pour ce premier roman intégralement personnel.

Une urgence, celle de dévoiler au grand jour un drame méconnu. Une responsabilité, celle de l’écrivain qui se doit de témoigner. Caroline Laurent est franco-mauricienne et se souvient, qu’enfant, elle entendait sa mère évoquer parfois le drame d’une petite population d’îliens. 1967, l’Ile Maurice accède à son indépendance à la suite d’un référendum victorieux mais l’Empire colonial britannique négocie et conserve un chapelet d’îles pour raisons militaires. Un paradis sur terre qui deviendra base militaire. 1967, sur l’Ile de Diego Garcia, archipel des Chagos, les habitants vivent simplement, évoluent heureux dans cette nature éblouissante, dans ce lagon pur. Sous la direction d’un gouverneur britannique, Mollinard, ils travaillent à la récolte des noix de coco. Simples cahutes, pieds nus, solidarité ancrée au cœur, les chagossiens connaissent du monde leur seule ligne d’horizon et cela leur suffit. Ainsi la belle Marie-Pierre Ladouceur vit sans entraves, consomme l’amour avec envie, entourée par les siens. Marie-Pierre Ladouceur, un nom comme une caresse, comme une promesse, une invitation pour Gabriel Neymorin, venu seconder Mollinard. L’histoire d’amour est belle et le décor somptueux. Le déchirement sera terrible. 1971, sans prévenir, les soldats anglais expulsent les chagossiens qui ont eu seulement une heure pour rassembler leur baluchon. Expulsés de leur terre, laissant derrière eux leur vie et leurs morts. Pire que des chiens, ah le sort envieux des chiens ! Ils sont entassés dans des bateaux et débarquent hagards sur l’île Maurice, dans un bidonville, sans aucun accueil. Ce récit est celui de la lutte d’un peuple, quelques milliers d’habitants, qui après la résignation se redressera en colère, faisant un peu faiblir la rigidité administrative, portant au tribunal cette infâme confiscation. Caroline Laurent, en prenant le temps de poser ses personnages, de les faire évoluer dans leur primo-paradis maternel, donne une force narrative incroyable à son roman. Le lecteur devient chagossien. Page après page, le texte prend de la puissance, les personnages de l’ampleur. Projet ample, habilement construit en alternant les époques et les personnages, Rivage de la colère ne bascule jamais dans la facilité de juger, de moraliser. L’homme, on le sait, est parfois un monstre capable de profiter de l’ignorance. Caroline Laurent combat l’ignorance autour de cette sombre page d’Histoire et utilise la littérature comme une (l)arme, un magnifique chant de vie : et soudain, l’espoir !

Les autres chroniques du libraire