Littérature étrangère

David Mitchell

Utopia Avenue

illustration

Chronique de Juliet Romeo

Librairie La Madeleine (Lyon)

Le nouveau roman de David Mitchell nous plonge dans le Londres de la seconde moitié des années 1960 à travers l’histoire d’un groupe de rock fictif : Utopia Avenue. De quoi parler musique, mais aussi d’une époque où tout était possible autant que rien ne l’était.

Imaginons que vous preniez une chanteuse folk connue, Elf Holloway, un guitariste de génie, Jasper de Zoet, un bassiste qui ne vit que pour la musique, Dean Moss, et un batteur de jazz discret mais charismatique, Griff'. associez-les à un manager qui est prêt à cramer sa chemise pour eux, Levon Frankland, et vous obtiendrez le groupe Utopia Avenue que vous suivrez de concerts ratés jusqu’aux plateaux de l’émission « Top of the pops », d’un pub crade de la banlieue londonienne jusqu’aux États-Unis. Utopia Avenue est la biographie fictive d’un groupe de rock des années 1960, mais surtout la photographie d’une époque. Si nos protagonistes sont imaginaires, c’est bel et bien Brian Jones, Francis Bacon, Janis Joplin et tant d’autres grands noms que vous croiserez au fil des pages. Et c’est ainsi que David Mitchell réussit la prouesse de nous entraîner dans la création d’un groupe, dans les arcanes des maisons de production, dans les séances d’enregistrement, dans le processus créatif de musiciens qui essaient de trouver leurs places entre les Beatles et les Rolling Stones, sans trop ressembler aux Pink Floyd qui débarquent sur la scène médiatique. Et, tout en naviguant dans les eaux troubles du monde de la musique, chaque personnage nous invite à réfléchir sur cette époque de révolutions permanentes. Une époque où le racisme est plus que présent, où avoir les cheveux longs c’est être homosexuel et donc avoir un problème, où les femmes sont destinées à avoir des enfants et n’ont pas vraiment la place de parler, où le LSD offre à des jeunes perdus une occasion dangereuse de s’évader. David Mitchell nous offre un récit haletant et addictif, construit comme un album de rock où chaque morceau ouvre une page de vie, où les ponts musicaux forment des flash-back. Et dans chaque couplet, on ne peut que s’attacher aux personnages. On en vient à vouloir mettre à la porte le petit ami en carton de Elf pour la protéger, à vouloir serrer Griff’ dans nos bras quand un drame s’abat sur sa vie, à chercher à comprendre quels sont les fantômes qui hantent Jasper, à vouloir aider Dean à combattre le souvenir de son enfance qui revient frapper à sa porte. Et si on le pouvait, on monterait sur scène avec eux, on finirait le couplet de leur nouveau morceau, on choisirait avec eux la photo qui illustrerait leur premier album. Alors prenez place dans leur van pourri, allumez une cigarette et plongez avec eux dans cette aventure humaine et musicale !

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