Littérature française

Isabelle Carré

Le Jeu des si

illustration

Chronique de Juliet Romeo

Librairie La Madeleine (Lyon)

Dans son nouveau roman, Isabelle Carré transforme une nouvelle fois l’essai de mêler la réalité à la fiction à travers deux histoires qui s’entremêlent autour d’une seule et même question : peut-on fictionner sa vie ? Entre autofiction et fantasme, l’autrice nous plonge dans un jeu pour le moins trouble.

Le Jeu des si, c’est avant tout une situation de départ, qui pourrait sortir de l’imagination de tout un chacun : et si je montais dans ce taxi qui attend quelqu’un d’autre ? C’est ce que la narratrice du nouveau roman d’Isabelle Carré, Élisabeth, va faire : monter dans le taxi réservé à une certaine Emma Auster. Un taxi qui mène à un ailleurs, loin de sa réalité, de ses préoccupations, de ses responsabilités. Une échappatoire censée ne durer que quelques instants, le temps d’un trajet, le temps de se réchauffer, le temps d’échapper à la pluie. Et si cette échappatoire devenait une nouvelle réalité ? Et si notre narratrice parvenait à endosser le costume d’Emma Auster, embauchée pour s’occuper des deux enfants d’une famille, dans un petit village des hauteurs de la Provence ? Et, comme elle l’écrit, « changer de nom et de décor suffit-il à faire de moi quelqu’un de différent ? ». Peut-on réellement devenir quelqu’un d’autre d’ailleurs ? Mêlée à ce récit fictionnel, Isabelle Carré insère un autre « je ». Celui de l’autofiction. Ou en tout cas, du récit qui se veut plus personnel. Celui qu’elle se plaît à intégrer dans chacun de ses romans. Et c’est l’actrice Isabelle Carré que l’on retrouve, en 2020, en Bretagne, pendant la période du confinement. Alors que la vie s’est comme arrêtée et qu’il faut une attestation pour faire 1 km pendant une heure autour de chez soi, l’actrice surprend son conjoint au téléphone en train de parler à sa maîtresse. Ou tout du moins c’est ce qu’elle comprend de quelques phrases entendues. Humiliée, abasourdie, assommée par cette situation, l’actrice tente de se remettre sur pied, d’accepter et même de rencontrer l’autre, une fois de retour dans un Paris déconfiné. Mais cette conversation surprise est-elle réelle ou bien l’imagination a-t-elle pris le dessus ? Jusqu’à quel point peut-on tisser une histoire de quelques bribes de phrases volées dans un jardin ? Dans ce récit à la construction étonnante et déroutante, Isabelle Carré, l’autrice, nous entraîne dans ce « Jeu des si ». Elle nous force à nous questionner sur l’être et le paraître, sur ce qu’on laisse percevoir de soi et surtout sur ce qu’on imagine des autres. Récit labyrinthique autant que passionnant, le réel, à travers ce « je » multiple, rejoint l’imagination. Ou bien serait-ce l’inverse ? Le Jeu des si est une invitation à se laisser porter dans le labyrinthe imaginaire de l’autrice, à s’y perdre, pour peut-être mieux s’y retrouver.

 

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