Pendant plus d’un an, entre juin 1842 et octobre 1943, Eugène Sue fait paraître presque quotidiennement dans Le Journal des débats un chapitre de son roman fleuve Les Mystères de Paris. Alors qu’on lui souffle l’idée d’écrire sur le peuple, Eugène Sue n’y croit que peu mais tente quand même l’expérience de se rendre dans les bas-fonds parisiens pour voir par lui-même ce qu’il pourrait bien en tirer. Il assiste alors à une bagarre de rue qu’il retranscrit pour en faire l’objet du premier chapitre et le point de départ des Mystères de Paris. S’ensuit un engouement populaire incroyable. Les lectrices et les lecteurs font la queue aux kiosques pour pouvoir lire la suite des aventures de Rodolphe, le héros ouvrier qui cache son origine sociale. Après l’avoir défendu contre un homme, Le Chourineur, Rodolphe prend sous son aile La Goualeuse, chanteuse orpheline de 16 ans qui vient de sortir de prison, en l’aidant à quitter Paris. De fil en aiguille, notre héros se retrouve à parcourir la ville et les différentes couches de sa population. Eugène Sue tire des pérégrinations de son héros une galerie de personnages imposante, allant du notaire à l’instituteur en passant par la prostituée et le caïd, et peut ainsi dresser le portrait du Paris et de la France du XIXe siècle, celle d’avant la révolution de 1848. La notion de classe sociale prend alors tout son sens, alors que le concept de lutte des classes est en train d’émerger dans les pensées. Le roman social est en train de naître, en osant montrer aux yeux de toutes et tous les inégalités sociétales. Et si Les Mystères de Paris est un roman socialiste, son créateur l’est tout autant. En effet, Eugène Sue a participé toute sa vie à forger les idées et les opinions du peuple et des bourgeois sur le peuple. Il s’empare des problématiques de bas-quartiers et de sa population, que ce soit l’accès à la justice, la gestion des hôpitaux et des soins publics, l’égalité homme-femme, les conditions de travail, tout y passe. Et si ces questionnements auraient pu rester entre les colonnes d’un journal, Eugène Sue en fait des sujets de débats publics, allant jusqu’à se faire élire député quelques années plus tard. Redécouvrir cette œuvre aujourd’hui, grâce à cette édition au format poche en quatre tomes, c’est replacer Eugène Sue dans l’histoire littéraire et politique du XIXe siècle, deux histoires liées par la force des choses, mais c’est également replonger dans une lutte de classes qui, malheureusement, résonne encore dans notre actualité.