Essais
Michelle Perrot
Mélancolie ouvrière
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Michelle Perrot
Mélancolie ouvrière
Grasset
17/10/2012
192 pages, 11 €
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Chronique de
Isabelle Aurousseau-Couriol
Librairie de Paris (Saint-Étienne) -
❤ Lu et conseillé par
5 libraire(s)
- Laurence Behocaray de I.U.T. Carrières sociales, Université (Tours)
- Catherine Florian de Violette and co (Paris)
- Géraldine Huchet
- David Piovesan de Au Temps retrouvé (Villard-de-Lans)
- Olivier Huguenot de Le Neuf (Saint-Dié-des-Vosges)
✒ Isabelle Aurousseau-Couriol
(Librairie de Paris, Saint-Étienne)
Mélancolie ouvrière est le premier volume d’une nouvelle collection imaginée par Caroline Fourest et Fiammetta Venner : « Nos héroïnes ».
Tout d’abord, l’approche de Michelle Perrot commence par une réflexion en lien avec cette nouvelle collection : qu’est-ce qu’une héroïne ? Une question loin d’être anodine puisque ces ouvrages concernent des femmes tombées dans l’oubli et qui ont pourtant marqué leur époque. C’est le cas de Lucie Baud. Nous sommes à cheval entre les XIXe et XXe siècles dans les environs de Vizille, ville où s’est tenue la célèbre journée des Tuiles, prélude à la révolution française. Lucie est ouvrière dans l’une de ces gigantesques manufactures de soierie installées dans les vallées iséroises. Mariée à un garde-champêtre, mère de trois enfants, veuve trop tôt, elle marquera néanmoins ses contemporains par son engagement dans le syndicalisme. Face à un patronat chrétien et paternaliste, elle s’élève contre les conditions de travail de l’époque. Non seulement elle met en place des syndicats au sein des différentes entreprises où elle travaille, mais elle prend en main un certain nombre de grèves qui secouent le secteur au cours de cette période charnière, organisant, entre autres, des cantines pour soutenir les grévistes. Il n’est pas aisé d’être une femme à une époque où la société les considère comme quantité négligeable et ne leur donne pas voix au chapitre – rappelons qu’elles n’ont pas le droit de vote. Au sein des syndicats, monde plutôt misogyne, elles sont mal représentées. Après un nouveau licenciement, une tentative de suicide et à la veille d’une mort prématurée, Lucie Baud laisse un texte. Il paraît en 1908 dans la revue Le Mouvement socialiste, et se présente comme un sombre témoignage relatant les invraisemblables conditions des femmes employées au sein de ces entreprises, cloitrées dans des internats insalubres pour un salaire de misère, mais aussi les avancées et les avantages obtenus grâce au militantisme syndical – le texte est reproduit en fin d’ouvrage. Évidemment, les documents relatifs à Lucie sont rares. Michelle Perrot a croisé son personnage au cours des travaux qu’elle a menés sur l’histoire des mouvements féministes. À l’aide d’études consacrées à la région et au monde de la soierie, d’archives locales, elle restitue les grandes lignes de ce destin hors du commun. Bouleversant.