Aller à Londres en ce printemps 2019 relève de l’expédition. Avec le Brexit, les douaniers nous laissent admirer sans nous bousculer la superbe horloge de la gare du Nord. Accéder à la rame de l’Eurostar demande patience et optimisme ! Enfin, quelques heures plus tard, je peux admirer rapidement l’horloge de Saint-Pancras et son superbe bâtiment de briques rouges. Pas le temps de flâner et j’ai la chance de traverser Londres dans un de ses mythiques taxis. On longe Hyde Park – les rues sont animées en ce début d’après-midi –, Regent’s Park et on arrive à Kensington – des noms magiques d’Outre-Manche ! C’est dans le superbe Milestone Hotel que j’ai rendez-vous avec Kate Morton autour d’un vrai tea time avec ses sandwichs au concombre, ses petits gâteaux et les inévitables scones. Elle parle de sa vie dans ce pays d’adoption (elle est australienne), de la peinture anglaise du XIXe siècle, de ses lectures. Un échange d’une grande convivialité avec une femme souriante et attentive à ses interlocuteurs.
Élodie travaille comme archiviste à Londres dans une banque privée. En répertoriant une sacoche, elle découvre la photo d’une jeune femme du XIXe siècle et un carnet de dessins. Celui-ci est attribué au peintre Edward Radcliffe. Sa carrière fut courte et interrompue par une nuit d’enfer, pendant l’été 1862, marquée par le meurtre de sa fiancée Frances, la disparition de sa muse Lily et d’un superbe diamant appartenant à la collection familiale. Ces deux histoires ont un point commun : Birchwood Manor. Elle est la maison d’Edward où, avec ses amis artistes, peintres et photographes, il passe un été agréable jusqu’à la catastrophe. Sa sœur la transformera en école qui deviendra plus tard un asile pour les Londoniens désireux de se protéger du Blitz pendant la Seconde Guerre mondiale, avant de devenir un musée dédié à l’œuvre d’Edward. C’est son âme – ou plutôt son fantôme – qui nous guidera dans cette histoire et nous fera découvrir ses mystères. Kate Morton nous offre une belle reconstitution de l’époque préraphaélite mais aussi un roman que vous aurez du mal à lâcher.
Comment une simple mallette peut-elle bouleverser une vie ? Qu’est devenue Lily en cette nuit d’été 1862 ? Vous le saurez en suivant les recherches et le retour à Birchwood Manor d’Élodie dans cette campagne anglaise où il est censé ne rien se passer.
PAGE — Vous avez choisi de situer votre roman dans la deuxième partie du XIXe siècle, plus spécifiquement pendant la période préraphaélite. Quels sont les peintres qui vous ont le plus inspirée ?
Kate Morton — Je raffole des peintres préraphaélites : je trouve leurs tableaux extraordinaires et j’admire leur engagement social. Les opinions de William Morris sur la valeur du savoir-faire artisanal et ses inquiétudes face à la menace de l’industrialisation pour les hommes et leur créativité m’intéressent énormément. Ainsi, dans La Prisonnière du temps, ce sont les personnages de Félix et d’Adèle Bernard qui illustrent les liens entre la technologie et l’art, matérialisés par leur décision d’abandonner chevalet et gouaches en faveur du daguerréotype et de l’approche de la lumière. J’adore la photographie de l’époque victorienne, notamment les œuvres de Julia Margaret Cameron et de Lewis Carroll. Quand on pense combien cette technologie a dû sembler extraordinaire à ses débuts : avoir la possibilité d’immortaliser un moment et de le fixer à jamais sur le papier… c’est fascinant !
P. — Le manoir de Birchwood est un lieu imaginaire. Pouvez-vous nous parler de cet édifice qui, à la suite d’une tragédie, est devenu une école, puis un musée ?
K. M. — Mes personnages doivent présenter autant de facettes que dans la vraie vie. La Prisonnière du temps explorant le passage du temps dans un lieu unique, il m’a semblé inévitable que l’histoire centrale soit narrée par des voix multiples. Tous les personnages ont élu domicile au manoir de Birchwood, à un moment donné, au cours d’une période s’étalant sur plus d’un siècle, et j’ai tenu à ce que leurs vies s’entrecroisent dans l’espace-temps pour révéler un mystère qui constitue le cœur de l’intrigue.
P. — Vos parents étaient antiquaires. Est-ce la raison pour laquelle tant d’objets revêtent une importance et un sens particuliers dans le roman ?
K. M. — La profession d’antiquaire de ma mère a non seulement influencé mon travail d’écriture, mais aussi ma personnalité. D’aussi loin que je m’en souvienne, j’ai toujours été consciente du temps qui passe et, plus encore, de la manière dont les objets passent l’épreuve du temps. J’ai toujours aimé traîner dans le magasin de ma mère, à examiner telle bonbonnière ou telle broche, à essayer là un feutre, là une paire de gants en chevreau fin, tout en imaginant les lieux et les personnes que ces objets avaient connus avant moi.
P. — Souhaitez-vous nous parler de votre amour pour la littérature anglaise, dans la mesure où votre roman regorge de références littéraires ?
K. M. — L’époque victorienne est celle que je préfère et j’adore me plonger dans sa littérature. Cependant, mes lectures et mon amour des livres ne sont pas limités à cette période. Je suis une lectrice plutôt éclectique et j’alterne entre la fiction et les essais, tout en étant ouverte à la plupart des genres.
P. — Sur un plan plus personnel, comment vous y prenez-vous pour créer un nouveau roman ? Quel est votre processus d’écriture ?
K. M. — Je travaille tous les jours. Quand je commence une nouvelle histoire, elle imprègne mon quotidien, au point que mes pensées sont toujours occupées, au moins en partie, par mes personnages et le monde dans lequel ils évoluent. Je peux écrire n’importe où, et dans n’importe quelles conditions, car dès que je m’assieds devant mon ordinateur, le reste du monde disparaît, au point que je ne vois même plus les mots que j’écris, seulement l’histoire qui se déroule dans mon imagination. Toutefois, quand j’en suis à la phase de rédaction de l’intrigue, je délaisse mon bureau pour m’installer de préférence dans un café très fréquenté. En dehors de l’écriture, la recherche constitue une grande partie de mon travail. Pour moi, il est indispensable que l’univers de mon roman soit vivant et authentique. C’est pour cette raison que je prends régulièrement la poudre d’escampette. Afin de créer le décor du manoir de Birchwood, par exemple, j’ai visité le district de Vale of White Horse et les villages de Lechlade et Buscot. J’ai appris à connaître le petit affluent à proximité de Southrop. J’ai aussi exploré de nombreuses maisons de maître, telles que le manoir d’Avebury, datant du XVIe siècle, qui produit une impression incroyable : il est bâti au cœur d’un cercle de pierres du néolithique ! J’ai également visité le manoir de Great Chalfield et son magnifique jardin d’art et d’artisanat, sans oublier le manoir de Kelmscott qui servit de résidence à William Morris et sa femme Jane, ainsi qu’à leur ami Dante Gabriel Rossetti.