Essais

Thomas Laqueur

Le Travail des morts

✒ Isabelle Aurousseau-Couriol

(Librairie de Paris, Saint-Étienne)

Thomas Laqueur ne vient pas dans cet ouvrage nous parler de fantômes, encore moins nous démontrer qu’une armée de zombies pourrait nous servir de robots. Il nous entraîne dans une histoire qui nous concerne tous, celle de la mort et son impact sur notre vie.

Thomas Laqueur est historien mais il a été confronté très tôt au monde de la mort, son père étant pathologiste de profession. Dans cet ouvrage, il nous explique tout d’abord que, de tout temps, les hommes ont pris soin des corps en les retirant du monde des humains. L’exposition de cadavres est un signe de punition ou de traitement indigne, similaire à un vulgaire déchet. D’Europe aux États-Unis d’Amérique (le champ de réflexion de ce livre), les cadavres ont été lavés, enveloppés, enterrés… selon les coutumes et les traditions religieuses ou non, et cela depuis l’aube de l’humanité. À cela s’ajoutent funérailles et deuils réglés par des pratiques du même ordre. De cette base, un certain nombre d’évolutions voire de fractures ont eu lieu. Tout d’abord, le cimetière représente le lieu des morts par excellence. Installé au Moyen Âge à proximité de l’église paroissiale, celui-ci quittera, sous le siècle des Lumières, cet emplacement privilégié pour se tenir aux franges de la commune. La raison en est la possibilité d’un accueil cosmopolite : étrangers, confessions religieuses autres que catholiques, des citoyens d’une communauté imaginée : ceux de la nation. La deuxième grande évolution se situe dans l’individualisation du mort. Par un nom gravé sur la tombe tout d’abord mais aussi par l’établissement de listes se rapportant à un événement tragique, un groupe, une guerre… Le mémorial plus récemment en est l’exemple le plus démonstratif. La première grande fracture qui touche notre époque, selon Thomas Laqueur, est l’apparition de la crémation en place de la sépulture classique. Elle est le signe pour certaines personnes de leur inintérêt du devenir de leur corps ou de ceux des autres, tel que Diogène le prônait dans l’Antiquité. Celle-ci ne permet plus aux vivants – ou mal – d’effectuer Le Travail des morts, celui qui passe par la voie du deuil et surtout par le recueillement dans un lieu précis. La seconde fracture encore plus importante se manifeste au niveau du « droit de mourir ». À l’encontre de nos ancêtres qui désiraient une bonne mort, ce choix bouscule le milieu familial. Ce livre nous parle de l’importance du monde des morts dans celui des vivants, lui donnant un sens et structurant son espace public, politique et temporel. Illustré de photos et de gravures, comportant de nombreuses anecdotes, il est très accessible à tout lecteur intéressé par ce sujet et pas besoin de mouchoir, il n’est jamais triste et même drôle parfois.

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