Littérature étrangère
Lauren Groff
Les Terres indomptées
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Lauren Groff
Les Terres indomptées
Traduit de l'anglais (États-Unis) par Carine Chichereau
L'Olivier
03/01/2025
272 pages, 23,50 €
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Chronique de
Michel Edo
Librairie Lucioles (Vienne) - ❤ Lu et conseillé par 28 libraire(s)
✒ Michel Edo
(Librairie Lucioles, Vienne)
Une terre hostile et, venue d'ailleurs, une petite communauté d'hommes blancs retranchés derrière leurs maigres barricades. Une lèpre sur une peau vierge qui ne tardera pas à se répandre et salir tout ce qu'elle touchera.
C'est le plein hiver, quelque part sur une terre qui sera nommée plus tard la Virginie. En ce début de XVIIe siècle, Jamestown est la première colonie britannique sur le sol américain. Les habitants vivent dans la peur des attaques des indiens Powhatan. C'est le règne de la famine et de la maladie. Lauren Groff décrit ce lieu comme l'antichambre de l'enfer, une Sodome où règne le vice, la misère et cette foi insane qui donne aux Blancs le sentiment que toute chose ici leur est due. Comme la femme de Loth, une jeune fille fuit ce lieu de mort sans un regard en arrière. Elle se lance éperdument vers les ombres de la forêt, voyant à chaque pas sa mort survenir par un homme ou un animal prêt à lui sauter dessus. Elle va pourtant choisir la crainte perpétuelle de l'inconnu à celle plus terrible encore de ses maîtres. Elle fuit avant tout la domination, la violence, la concupiscence de tous les hommes, maîtres ou serviteurs, révérends ou soldats qui ont voulu asservir son corps et son âme. Elle court et ne cessera désormais d'aller vers le Nord, s'enfonçant toujours plus avant au cœur de territoires sauvages. Elle n'a pour seul recours que son opiniâtreté et sa foi en un dieu qu'elle questionne sans cesse. Elle se découvre capable de survivre, en pauvre coureuse des bois, à la faim, à la soif, aux blessures, se nourrissant de baies, de poissons pris dans les glaces, d'animaux capturés. Mais la maladie la taraude incessamment. Elle va, s'afaiblissant, continuant son monologue patient avec elle-même. Ses réflexions métaphysiques sur la présence de Dieu sont souvent balayées par les souvenirs de son enfance orpheline en Angleterre, battue, salie. Recueillie par une femme fortunée, elle pense s'être enfin extirpée de la fange pour se rendre compte que la cruauté et l'hypocrisie sont des maux partagés aussi bien par les riches que par les pauvres. Au fil de son errance, elle se détache petit à petit des chaînes de son éducation, dans la souffrance souvent, par des épiphanies parfois, comme lorsque, fiévreuse et blessée, elle observe un grizzli regardant le ciel dans le lac d'une cascade. Elle perçoit ce jour-là que toute chose a sa place sur cette terre et que toute forme de domination au nom de Dieu, est un détournement égoïste de ce qu'on appelle le divin. Au fil de sa fuite, maigrissant, saignant, pissant, elle se lave et se purge de toute l'horreur où sa condition de femme l'avait mise. C'est un récit d'aventure sans raccord, puissant, haletant de la première à la dernière ligne.