Littérature française

Véronique Ovaldé

La Grâce des brigands

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photo libraire

Chronique de Michel Edo

Librairie Lucioles (Vienne)

Maria Cristina Vääatonen aimerait bien habiter Santa Monica pour son indolence de bord de mer, pour son ambiance décadente, pour les balades en décapotables sur Mulholland Drive, pour vivre au milieu de ses pairs les écrivains, qu’ils soient scandaleux ou neurasthéniques, en pleine gloire ou se nourrissant de leurs souvenirs.

Mais il faut bien avouer que si Maria Cristina vit ici, dans le silence de son appartement et entourée de la distante affection de son chat et de son ex-amant, c’est surtout dû au hasard d’une bourse qui, quinze ans plus tôt, lui a permis de fuir son Canada natal. Il faut dire que son enfance dans les brumes de Lapérouse n’aura pas été une partie de plaisir, ç’aura même été une enfance terrible dans la bien nommée « maison rose cul », entourée d’un père « moins placide qu’indifférent » et d’une mère « indéniablement dérangée » de la pire espèce : catholique forcenée et dictatoriale, malheureuse et prête à le faire payer à ses enfants... Folle, quoi. Heureusement la nature a fourni à Maria Cristina un caractère propre à ne pas se laisser laminer. La résistance au dragon est un art de l’évitement permanent. Signe indéniable de sa volonté et de son intelligence, la première et seule occasion qui lui sera fournie de quitter l’atmosphère mortifère de son village sera la bonne. L’arrivée à Santa Monica est une seconde naissance à tous points de vue. Mais Maria Cristina ne serait pas devenue le grand écrivain qu’elle est sans la rencontre avec le mégalomane Rafael Claramunt, génie autoproclamé de la littérature alors au sommet de sa gloire, éternel aspirant au Nobel. C’est lui qui a permis la publication du premier roman de la jeune femme, c’est lui qui a donné à celle-ci les ingrédients du succès, cet étrange mélange d’exhibitionnisme et de mystère. Maria Cristina possédait déjà l’intelligence et le charme, son Pygmalion sera son révélateur. Mais les personnalités de la trempe de Claramunt ne font rien sans calcul, Maria Cristina mettra quelques années à s’en rendre compte. Il faut cependant revenir sur le début du roman. Un coup de téléphone inopportun qui déclenche une avalanche de souvenirs, un appel longue distance qui met fin à dix ans de silence entre les Vaatonen mère et fille. Un appel que Maria Cristina devait savoir inéluctable. Quant au contenu de cet appel, il est de ceux qui remettent en cause les décisions les plus fermes… Et madame Vaatonen mère est assez perverse pour jouer sur toute la gamme de la culpabilité de sa fille et la forcer à faire en sens inverse le chemin jusqu’à Lapérouse. Maria Cristina le sait et pourtant, masochisme ou fatalisme, elle s’exécute et fonce au Canada. Nous sommes en 1989, le 12 juin précisément et, à partir de cette date, le narrateur nous ramène à la fin des années 1960 dans un tourbillon de souvenirs qui suivent un fil caché. Ce roman est une enquête biographique aux multiples rebondissements, qui use de tous les moyens à sa disposition pour tenter de donner un sens à la trace erratique du destin. La Grâce des brigands est une comédie humaine sous le soleil du Pacifique, avec ses intrigues, ses moments de bonheur et ses descentes aux enfers. Et puisque d’un mal peut surgir un bénéfice imprévu, nous pourrons nous aussi trouver de la grâce aux opportunistes, aux calculateurs et aux brigands !

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