Littérature étrangère

Takis Théodoropoulos

Le Va-nu-pieds des nuages

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photo libraire

Chronique de Michel Edo

Librairie Lucioles (Vienne)

Qu’est-ce qui a pris à Aristophane d’écrire Les Nuées et de tourner en ridicule ce Socrate qu’Athènes ne connaît pas bien, sinon comme un homme pour le moins bizarre ? L’écrivain a besoin d’un guide pour raconter cela et il a besoin d’informations de première main.

Et qui est mieux placé que le démon de Socrate pour nous raconter l’histoire ? Un bon employé, ce démon : objectif, diligent, sérieux, le genre à s’acquitter de sa mission en gardant ses questions pour lui. Oui, car les dieux n’en peuvent plus de ces Athéniens arrogants qui les tournent en ridicule quand ils ne les délaissent pas carrément ou se choisissent Athéna, cette pucelle frigide, pour protéger leur ville au lieu de s’adresser à Zeus lui-même. Un Conseil particulièrement houleux et décousu de dieux en colère décidera donc d’envoyer sur terre un démon qui devra favoriser le rayonnement de la pensée de ce Socrate afin que les hommes ne puissent plus dire un mot sans en chercher le sens profond pendant des semaines. D’accord, l’idée est géniale, mais si les hommes ont inventé la parole, il sera bien difficile de les rouler dans la farine sur la manière de s’en servir. Pendant ce temps à Athènes, Périclès meurt de la peste laissant l’Agora se déchirer sur sa succession et la manière de conduire la ville et le monde. Aristophane, cette espèce de maniaco-dépressif, vient de triompher avec Les Cavaliers et se terre, comme à son habitude, dans le giron d’une jeunette loin du tumulte provoqué par sa pièce. Il sombre dans une dépression noire et cherche l’inspiration pour sa prochaine œuvre. Aspasie, la maîtresse de Périclès, tente de placer au mieux ses charmes pour conserver son influence. Et sous son arbre, un certain Socrate, ventru, malingre, crasseux, guerrier improbable quoique efficace, inlassable buveur, avec une tendance prononcée pour le monologue, tente de faire entrer des rudiments de maïeutique et de dialectique à un maigre cercle de vaniteux disciples. Lesquels, à ce moment-là de l’histoire, sont absolument stupéfiés par la puissance intellectuelle de leur maître, mais pas au point de ne pas voir les applications directes et immédiates de cette philosophie dans les domaines de la politique et du commerce. C’est à ce moment qu’intervient notre démon. Il n’a plus qu’à arranger deux ou trois rencontres pour que toutes les pièces de ce vaudeville de haute volée se mettent en place. L’Antiquité selon Théodoropoulos prend une tournure toute contemporaine et tout à fait comique. L’assemblée des dieux ressemble à une session du Sénat où chacun tente de tirer la couverture à lui entre un banquet et une sieste. Et sur terre, entre une épidémie et une guerre, quelques originaux, ni sympathiques, ni mesurés et pour le moins insupportables, tentent de jeter les bases de la pensée occidentale pour éviter que quelques pantins malintentionnés ne fichent tout par terre. C’était il y a 2 435 ans et, en dehors du fait que l’on possède désormais des montres à cristaux liquides, rien n’a vraiment changé... L’ironie de la chose ne vous aura pas échappé, j’en suis sûr.

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