Littérature française

In Koli Jean Bofane

Haïti, terrain de guerre

ME

Entretien par Michel Edo

(Librairie Lucioles, Vienne)

In Koli Jean Bofane, dont les précédentes histoires se passaient en RDC et qui pourfend avec férocité et humour la violence de son pays, l'a quitté provisoirement pour camper son nouveau roman en Haïti. Il y décrit quelques personnages aux prises avec la violence du pays et tourmentés par leurs propres démons.

Comment avez-vous rencontré Haïti ?

In Koli Jean Bofane J'ai rencontré le Congo en Haïti. J'avais l'impression d'être chez moi. Je n'avais jamais vu des gens qui ressemblent autant aux Congolais que les Haïtiens ! J'ai fait des recherches et j'ai découvert que la moitié des esclaves de l'île de Saint-Domingue étaient Kongo, originaires d'un empire en Afrique centrale. C'est cette proximité que je voulais explorer et, en poussant plus loin, j’en suis arrivé à ce roman.

 

En arrivant en Haïti, quels rapprochements avez-vous pu faire avec la situation politique actuelle de la RDC ?

I. K. J. B. Ce qui se passe en Haïti peut se voir aussi au Congo. C'est un pays que j'ai compris très vite. Ces deux pays ont en commun d'être victimes de la coercition du monde. Le Congo et Haïti sont soumis à des tiraillements politiques qui ont pour origine la richesse de leur sous-sols. Le résultat, ce sont des guerres incessantes, de basse intensité, mais des affrontements quand même.

 

La violence d'Haïti ne vient-elle pas d'une sorte de reproduction exponentielle du modèle occidental ?

I. K. J. B. Les Occidentaux se moquent de ce qui se passe au Congo ou en Haïti. Ils devraient pourtant regarder ces pays comme des laboratoires car c'est ce modèle-là qui finira par arriver en Occident. Pour exemple : le premier outil de coercition en Afrique, c'est le Fonds monétaire international que l’on a vu débarquer au Portugal ou en Grèce. Et on commence à en parler pour la France. Idem pour les guerres de proxy ou par procuration qui ne sont que des guerres d'influence, comme celle que les États-Unis mène au Congo. Ils ont réussi à vous mener au même point en Europe avec la guerre en Ukraine et c'est très alarmant. Que ce soit en Afrique ou ailleurs, l’humanité a les mêmes ennemis : les multinationales, les pétroliers, les miniers..

 

Si l'on revient au roman, on a un personnage qui débarque en Haïti de Paris. Il est harcelé par son éditrice qui voudrait lui remettre un manuscrit mais il est aussi sous la menace d'une accusation de viol. Pourquoi avoir voulu mettre la question de #Metoo au cœur de votre histoire ?

I. K. J. B. Mon sujet, c'est l'esclavage et la libération. Il y les nations et les peuples mais il y a aussi les esclavages personnels, les choses qui nous tiennent et nous empêchent de vivre, comme les addictions. Faust Losikiya, le personnage central du roman, est accro au sexe. Une sorte de Strauss-Kahn congolais ! Heureusement, tous ses amis le lui reprochent. C'est un écrivain médiocre et il fuit.

 

Ce que j’ai trouvé astucieux était de donner à voir le point de vue subjectif de Faust. Vouliez-vous donner au lecteur plus d’éléments pour lui permettre de se faire une idée plus précise du personnage ?

I. K. J. B. En général, mes personnages sont assez sympathiques et, d'ailleurs, dans le premier jet, Faust l'était un peu trop et ce n'était pas le but ! Alors j'ai beaucoup travaillé sur la manière de l’aborder. C'était assez difficile mais vous avez désormais plus de matière pour vous faire votre opinion !

 

Un autre personnage majeur du roman est Freddy Tsimba qui va faire plusieurs découvertes. D'abord celle de la violence des combats dans son pays, le Congo, et une autre plus symbolique et plus terrifiante. Comment fait cet homme et avec lui tous les écrivains et artistes qui se confrontent au pire de l'humanité pour continuer son combat ?

I. K. J. B. Freddy Tsimba est sculpteur. Il existe ! Parce qu'il faut dire que dans ce roman, il y a des auteurs, des poètes qui sont vivants ! Tout ce que je raconte sur Tsimba est véridique. Son combat, c'est produire de l'art, il ne peut pas baisser les bras. Dans un pays en guerre, la question est comment rester vivant. Ce n'est pas en ayant peur que l'on reste vivant mais en étant combatif. J'ai appris ça très tôt à travers ma mère, ma famille. Se battre dans l'adversité est vital. C'est le rôle de Freddy, c'est le rôle d’Eugène Milcé, le journaliste du roman. Pour rester vivant, il ne reste que l'art, que l'écriture.

 

Il faut dire que ce roman est surtout d'une imagination folle : Haïti se retrouve pris dans une nuit qui semble sans fin et on y voit deux poètes s'affronter par le verbe et par le bâton pour combattre cette malédiction, tandis que d'autres personnages combattent avec leurs maigres armes contre les forces obscures. Est-ce là la force de la fiction, par la parabole ?

I. K. J. B. Tout ce que je raconte est en partie vrai : ce combat de bâton, je l'ai vu sur une plage d'Haïti. Le reste également. C'est certes de la fiction mais une fiction terriblement empreinte de réel !

 

 

Faust Losikiya, écrivain congolais, débarque en Haïti avec le secret espoir d'y trouver le roman qu'il n'arrive pas à écrire. Il fuit surtout une accusation de viol à Paris. Sur de son fait, l'ogre à l'appétit sexuel démesuré va se confronter sur place à ses propres démons. En mettant en miroir la RDC et Haïti, Bofane nous entraîne dans un tourbillon d'aventures où ses personnages tentent de rester vivants face à l'inexorable violence des guerres, attisées en sous-main par des multinationales qui ne cherchent que le chaos pour faire main basse sur les richesses de ces pays. Poétique, drôle, virulent, Bofane prend à bras le corps l'inextricable chaos qu'est Haïti pour en dire toute la magie et le courage dans un roman absolument trépidant.

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