Littérature étrangère

Kate Morton

La Scène des souvenirs

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Chronique de Marie-Laure Turoche

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Il n’est pas rare d’entendre un libraire parler de romans « à la Kate Morton ». En effet, cette charmante Australienne a su, au fil de ses publications, imposer son style et son univers. Il est vrai qu’elle écrit et raconte comme personne de merveilleuses sagas. Nouvelle démonstration avec cette Scène des souvenirs !

Nous sommes au début des années 1960, dans le Suffolk. La famille Nicolson fête l’anniversaire du plus jeune de leurs cinq enfants. Laurel, l’aînée, préfère s’isoler dans la cabane et penser à son amoureux. C’est du haut de sa cachette qu’elle assiste à un drame qui bouleversera sa vie à jamais. En 2011, nous retrouvons Laurel. Elle est désormais une célèbre actrice qui vit seule à Londres. Elle revient dans la maison de son enfance pour accompagner sa mère dans ses derniers instants. Alors qu’elle feuillette l’album de famille, elle tombe sur une photo datant d’avant la guerre. Sa mère, Dorothy, y est représentée en compagnie d’une autre jeune femme nommée Vivien. Elles semblent amies. Laurel se rend compte qu’elle ne sait rien du passé de la femme qui l’a mise au monde. Intriguée par cette découverte et par ce Jimmy que sa mère ne cesse de réclamer, Laurel fait le lien avec la tragédie vécue pendant son adolescence. Elle décide de remonter le cours du temps et de découvrir qui était Dorothy. Nous basculons alors en 1941. Dorothy, ou Dolly, est une belle et vive jeune fille qui rêve d’un destin exceptionnel. Jimmy, son fiancé de l’époque, ferait n’importe quoi pour elle. Durant cette période, Dolly travaille comme dame de compagnie et habite dans la riche demeure de sa patronne. Dans la maison d’en face vivent un écrivain et sa femme, Vivien. Dolly est complètement fascinée par cette dernière. Alors, doucement, le roman tourne au drame psychologique. Déçue par le comportement de Vivien, Dolly décide de se venger et entraîne le gentil Jimmy dans son délire. Dès lors, on a du mal à reconnaître l’épouse aimante et la mère modèle que nous décrit Laurel. Bien sûr, elle n’en devient que plus fascinante. Elle est même, selon moi, le personnage le plus attachant. Coquette, égoïste et manipulatrice, certes, mais ces défauts ne sont que les révélateurs d’une sensibilité et d’une fragilité extrêmes. Et il faut tout le talent de Kate Morton pour réussir à rendre cette complexité. L’auteure explique à quel point elle a travaillé Dolly, la « lissant » pour ne pas la rendre totalement détestable à nos yeux. Les autres personnages ne sont pas en reste. Vivien est à la fois mystérieuse et touchante. Quant à Jimmy, mesdames, vous tomberez sous son charme ! Comme dans ses romans précédents, Kate Morton incite le lecteur, entraîné au cœur de l’intrigue, à rassembler les morceaux du puzzle. Entre les découvertes de Laurel et ce que nous révèlent les récits de Dolly, Vivien et Jimmy, nous reconstituons peu à peu l’histoire de ce triangle amoureux dans le Londres du Blitz. Avec ce nouveau bébé (Kate Morton nous confiait qu’elle mettait neuf mois pour écrire un livre), elle confirme son talent d’écrivain sachant jouer des retours en arrière et autres procédés narratifs. Mais plus qu’un écrivain, elle est une conteuse. Son décor devient le nôtre, ses personnages deviennent nos proches. Nous pleurons et rions avec eux. C’est cela, un roman « à la Kate Morton ».

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