Essais

Kate Kirkpatrick

Devenir Beauvoir

illustration

Chronique de Marie-Laure Turoche

()

Et si celle que nous surnommons « la Grande Sartreuse » ou « Notre-Dame-des-Sartre » avait été philosophe bien avant sa rencontre avec Jean-Paul ? Cette nouvelle biographie par la Britannique Kate Kirkpatrick entend bien le prouver.

À l’heure où les rayons féministes naissent et s’agrandissent dans les librairies, nous n’avons jamais autant entendu parler de Simone de Beauvoir. Pour certains, c'est une pionnière. Pour d’autres, elle est complètement dépassée. Elle prône un féminisme bourgeois, universaliste alors qu’aujourd’hui, il se fait plus radical. On voit même surgir des ouvrages louant la misandrie. Cependant, Simone de Beauvoir était beaucoup plus avant-gardiste qu’on ne le pense. L’écriture du Deuxième sexe a fortement été marquée par Richard Wright, grand défenseur de la cause noire. Universaliste certes, mais essentialiste aussi. Mais avant le féminisme, il y avait la philosophie. On oublie trop souvent que Simone était une grande philosophe et qu'elle n’est pas devenue Beauvoir uniquement en se liant à Sartre. Kate Kirkpatrick enseigne la philosophie à Oxford et entend bien rétablir « le Castor » en tant qu’intellectuelle à part entière. Pour cela, elle s’est beaucoup appuyée sur ses Cahiers de jeunesse 1926-1930 (Gallimard, 2008) qui montrent qu’elle avait déjà ses idées sur la liberté, l’amour et le dévouement. Thèmes qui seront développés dans son essai Pyrrhus et Cinéas (Folio sagesses). De même, « la distinction sartrienne entre “l’être-pour-soi” et “l’être-pour-autrui” ressemble étrangement à celle que Beauvoir faisait dés 1927 dans ses Cahiers de jeunesse entre “vision du dedans” et “vision du dehors”, entre le “pour soi-même” et le “pour autrui” ». Pourtant, dans ses Mémoires, Simone de Beauvoir a souvent joué l’ambiguïté comme le rappelle la philosophe Manon Gracia dans son introduction. Pour quelles raisons se dépeindre comme inférieure à Sartre ? Voilà pourquoi l’ouvrage de Kate Kirkpatrick n’est pas simplement une énième biographie. Elle apporte un éclairage nouveau sur celle qui a toujours fait de sa vie son œuvre, de sa liberté son vecteur.

Les autres chroniques du libraire