Littérature française

Louis-Philippe Dalembert

L’espoir à l’horizon

Entretien par Marie-Laure Turoche

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Comme pour son roman précédent, Avant que les ombres s’effacent (Sabine Wespieser et Points), prix du livre France Bleu/Page des libraires 2017, Louis-Philippe Dalembert nous parle d’exil et de bateau. Avec sensibilité et humour, il continue de nous raconter ces gens qui fuient la misère ou la guerre pour une vie meilleure. Pourtant, nous ne sommes plus dans les années 1940 mais en 2014.

Louis-Philippe Dalembert a décidé de donner une identité, une histoire à ces migrants qui ne sont bien souvent qu’un simple chiffre dans nos journaux. Pour cela, il s’est inspiré d’un fait réel autour duquel vont se jouer les destinées de trois femmes. Elles s’appellent Chochana, Semhar et Dima, elles sont de nationalités et de religions différentes mais possèdent un unique rêve : la paix et la liberté. Après un parcours chaotique où Chochana et Semhar ont connu les abus et l’humiliation, elles vont enfin traverser la Méditerranée. Dima, quant à elle, fuit la Syrie avec sa famille. Toutes les trois vont se retrouver sur le même chalutier. Comme elles sont issues de classes sociales différentes, l’une sera sur le pont alors que les deux autres seront confinées dans la cale. Nous sommes en juillet 2014 et le bateau s’approche de l’île de Lampedusa. Chacun devrait pouvoir vivre sa vie dignement. Un roman poignant et nécessaire.

 

 

PAGE — Que s’est-il passé le 18 juillet 2014 ?
Louis-Philippe Dalembert — Un bateau en provenance de la Libye a fait naufrage avec, à son bord, plus de 800 réfugiés. Il a été secouru par le pétrolier danois Torm Lotte. On n’en a pas beaucoup parlé. J’ai dû faire énormément de recherches. On en retrouve la trace dans Les Bateaux ivres de Jean-Paul Mari. J’ai également lu beaucoup d’articles, surtout en italien et en danois. J’ai séjourné pendant un mois à Lampedusa où j’ai pu parler avec des médecins et des ONG. J’ai souhaité raconter cette histoire à travers trois femmes qui viennent de trois pays différents : la Syrie, le Nigeria et l’Érythrée.

P. — Trois religions différentes aussi.
L.-P. D. — La Nigériane vient d’une petite communauté juive qu’on appelle ibo. Avec elle, nous avons une musulmane et une chrétienne orthodoxe. Trois femmes de condition sociale différente aussi. La Syrienne est plutôt bourgeoise et va donc voyager sur le pont du bateau alors que les deux autres vont se retrouver dans la cale. Il ne fallait pas tomber dans une histoire que tout le monde connaît, une histoire de migrants sans visage. Ce qui était important pour moi, c’était de la raconter à travers trois figures féminines. On a tendance à croire que les migrants sont en partie des hommes. Or, il y a beaucoup de femmes qui tentent cette expérience.

P. — Dans votre roman, on alterne entre les scènes sur le bateau et le parcours de ces femmes. On comprend pourquoi elles en sont arrivées là.
L.-P. D. — Il faut toujours montrer d’où les gens sont partis. Qu’est-ce qui les amène à prendre cette décision ? La Syrienne fuit la guerre et l’Érythréenne une dictature. En Érythrée, le service militaire peut durer vingt ans. Quant à la Nigériane, elle part à cause du dérèglement climatique. La rivière qui nourrit son village va s’assécher. Trois situations qui expliquent pourquoi les gens ont envie d’aller voir ailleurs.

P. — Vous allez nous raconter des parcours terribles et pourtant, l’humour a aussi sa place dans votre livre.
L.-P. D. — Effectivement, Chochana la Nigériane est une fille pleine de gouaille et son amie Rachel ne rate jamais une occasion de faire rire, même dans les situations les plus tragiques. L’humour est essentiel ; cela montre que ces filles sont vivantes. Même la Syrienne que je dépeins comme une bourgeoise pleine de préjugés prête à sourire, surtout lorsqu’elle raconte à ses amies comment elle manipule son mari : « C’est du cousu-main », leur dit-elle.

P. — Vous n’utilisez jamais un mot pour un autre. La langue peut être crue, franche… à l’image de ce que vivent vos personnages.
L.-P. D. — Dans la vie, les gens ne prennent pas toutes ces précautions pour parler. Une personne raciste ne va pas dire « personne de couleur » ou « maghrébin ». Il va dire « arabe », « nègre » ou « noir » dans le meilleur des cas. Il s’agit de dire les choses comme elles sont, sans ce côté politiquement correct qui parfois peut apporter de l’eau au moulin des extrémistes.

P. — Comment avez-vous vécu l’écriture de ce livre ?
L.-P. D. — C’était très difficile car lorsque j’étais à Lampedusa, j’ai rencontré des témoins qui m’ont amené au plus près de l’histoire. En même temps, il faut essayer de prendre du recul afin de pouvoir recréer un monde. Il s’agissait aussi de trouver une voix pour chaque personnage. Une bourgeoise syrienne ne parle pas comme une petite Érythréenne de classe moyenne très basse ou comme une Nigériane sortie d’un village.

P. — Le racisme est très présent entre les migrants. Comment l’expliquez-vous ?
L.-P. D. — Ce sont des êtres humains. Ce n’est pas parce qu’on se retrouve dans la même galère qu’on devient nécessairement solidaires. On a des réflexes d’êtres humains et l’un de ces réflexes est malheureusement l’exclusion de l’autre. La solidarité, c’est plutôt l’exception. Un autre point sur lequel je voulais insister : la religion. La Thora, le Coran et la Bible sont présents tout au long de ce roman car les trois personnages sont accompagnés par ces religions. On y fait référence sans que cela soit pédant. Ces gens en sont nourris et ils les partagent avec d’autres. Cela fait partie de leur quotidien.
 

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